Le 14 août 1947, Jawarhalal Nehru, leader du mouvement d’indépendance en Inde, monte au pupitre de la nouvelle assemblée constituante et prononce ces mots historiques, qui résonnent encore aujourd’hui dans l’esprit de tous les Indiens: "Cette nuit, sur le coup de minuit, quand les hommes dormiront, l’Inde s’éveillera à la vie et la liberté."
Mais après l'espoir suscité par ce tournant historique, c'est rapidement la désolation. La partition de l'Empire britannique des Indes a été mal préparée par le Royaume-Uni et elle a provoqué l’un des plus importants et des plus tragiques exils de l’histoire moderne. Près de 15 millions de personnes ont dû traverser les nouvelles frontières: les musulmans se dirigent vers le Pakistan, alors que les hindous et les Sikhs vont vers l’Inde.
Et environ un million de personnes sont tuées dans des affrontements inter-religieux au cours des premiers mois de l'indépendance des deux Etats.
Des destins brisés
Maharaja Krishna Rasgotra avait 22 ans en 1947. Cet hindou originaire du Cachemire travaillait alors du côté indien, mais toute sa famille vivait du côté pakistanais. Interrogé lundi dans Tout un monde, il se souvient que ses parents ne voulaient pas partir et qu'ils pensaient pouvoir rester et entretenir de bonnes relations avec les musulmans. Mais la situation s’est vite dégradée. Les meurtres et les viols ont commencé. "Mes parents âgés, mon frère de 11 ans et les autres ont dû tout abandonner et marcher sur des kilomètres jusqu’à l'Inde. Ils ont été attaqués en chemin, mais ont été défendus par des militaires et ils ont donc survécu."
Beaucoup d’autres n’ont pas eu la même chance. Même les trains étaient pris d’assaut et des wagons arrivaient en gare remplis de cadavres. Maharaja Rasgotra a alors commencé à travailler dans l’énorme camp de réfugiés établi dans l’université de la ville frontalière de Ludhiana, où il réside toujours.
"Nous avons accueilli jusqu’à 50'000 personnes sous des tentes. Je lisais la peur de ces gens dans leurs yeux, ils étaient terrifiés et leurs histoires continuent à me hanter. Certains avaient perdu la moitié des membres de leurs familles, d’autres arrivaient avec un bras coupé. Une famille de Sikhs m’a dit que leurs filles avaient préféré se tuer en se jetant dans un puits pour éviter d’être enlevées."
Le Cachemire et le nucléaire comme sources de tensions
Les tensions n'ont que rarement faibli par la suite. Depuis 75 ans, les deux puissances se sont affrontées dans trois guerres, avec des désaccords se cristallisant surtout autour du Cachemire, région himalayenne à majorité musulmane rattachée à l'Inde, et du nucléaire.
Pour Maharaja Rasgotra, les affrontements inter-religieux ont été organisés: "Des groupes entiers passaient dans chaque maison pour dire aux musulmans de tuer les hindous. Ils voulaient nous chasser de cette région. Et ces mêmes affrontements continuent aujourd'hui en Inde comme au Pakistan, instrumentalisés par les politiciens. C’est l’un des héritages de cette partition dont nous n’avons pas réussi à nous débarrasser."
Le Premier ministre indien galvanise la foule
A l'occasion de ce 75e anniversaire, le Premier ministre indien Narendra Modi a voulu galvaniser la fibre patriotique avec un discours lundi à New Delhi, durant lequel il a appelé à faire de l'Inde une nation industrielle avancée.
Après une salve de 21 coups de canon, le chef du gouvernement nationaliste hindou, coiffé d'un turban aux couleurs du pays, a encouragé ses compatriotes à se délester de "la moindre chose liée au colonialisme en nous ou autour de nous".
"L'Inde autonome relève de la responsabilité de chaque citoyen, de chaque gouvernement, de chaque unité de la société", a ajouté Narendra Modi, sur les remparts du Fort Rouge, haut-lieu historique de la capitale, orné pour l'occasion de portraits des héros de l'indépendance du pays, placé sous la garde d'éléphants mécaniques. "L'Inde autonome, ce n'est pas un agenda ni un programme gouvernemental. C'est un mouvement de masse de la société que nous devons faire avancer", a-t-il poursuivi, dans une allocution de 90 minutes.
>> Lire aussi : Étonnant rituel à la frontière entre Inde et Pakistan, deux frères ennemis depuis 75 ans
boi avec afp
De multiples escalades
1947: une guerre éclate à propos du Cachemire. Un an plus tard, l'ONU réclame un référendum d'autodétermination, mais l'Inde s'y oppose. Le conflit prend fin en 1949, sous l'égide de l'ONU. Le territoire est divisé en deux parties: 37% pour le Pakistan, l'Azad-Kashmir, et 63% à l'Inde, l'Etat du Jammu-et-Cachemire, sans mettre fin aux revendications territoriales de chacun.
1965: le conflit est ravivé avec l'intrusion dans la partie indienne d'un millier de partisans du Cachemire libre, soutenus par le Pakistan. Cette deuxième guerre s'achève par une médiation soviétique.
1971: La communauté bengali du Pakistan oriental, mécontente que le pouvoir soit concentré au Pakistan occidental, engage une lutte armée pour l'indépendance. L'intervention de troupes indiennes aux côtés des forces indépendantistes entraîne la capitulation des soldats pakistanais en décembre. Le Bangladesh naît au prix de trois millions de morts, selon les autorités du pays. Plus de dix millions de civils ont trouvé refuge en Inde.
1974: l'Inde procède à un premier essai nucléaire. Puis le pays procède à cinq nouveaux tests nucléaires en 1998. Le Pakistan réplique en procédant à six tirs. Devenus de facto les sixième et septième puissances nucléaires, les deux rivaux s'attirent condamnations et sanctions internationales.
1989: des séparatistes musulmans entament une guerre d'usure contre l'armée indienne au Cachemire indien, réclamant l'indépendance ou le rattachement au Pakistan. Des milliers de combattants et de civils sont tués au cours des années suivantes. Et des dizaines de milliers d'hindous du Cachemire fuient vers d'autres régions de l'Inde.
1999: New Delhi accuse Islamabad d'avoir infiltré, dans la région du Cachemire sous son contrôle, des combattants islamistes et des soldats pakistanais dans le but de s'emparer du glacier du Siachen. De mai à juillet, une offensive indienne se solde par plus de mille morts de part et d'autre.
2001: un attentat devant l'Assemblée régionale du Cachemire indien à Srinagar fait 38 morts. L'Inde accuse le Pakistan. Plusieurs attaques meurtrières se succèdent, exacerbant les tensions. Au bord d'un quatrième conflit au printemps 2002, les deux rivaux renouent en 2003 des relations diplomatiques. Un cessez-le-feu est conclu, sans toutefois mettre un terme à la guérilla.
2008: des attaques coordonnées à Bombay font 166 morts. L'Inde, qui accuse les services de renseignement pakistanais, interrompt le processus de paix engagé quatre ans auparavant.
2011: le dialogue reprend mais est fragilisé par des incidents frontaliers meurtriers.
2015: le Premier ministre indien Narendra Modi effectue une visite surprise au Pakistan, signe d'une amélioration des relations.
2016: les relations s'enveniment à nouveau après un été sanglant et une attaque contre une base militaire indienne au Cachemire. New Delhi riposte par des raids contre des positions séparatistes côté pakistanais.
2019: l'Inde promet des représailles après la mort de 41 paramilitaires dans une attaque suicide au Cachemire imputée à un groupe basé au Pakistan. Des échanges de frappes aériennes les mènent au bord de la guerre.