Joseph et Saïd, c'est l'histoire d'une amitié qui a débuté en Afghanistan en 2006. L'Américain participe alors à la reconstruction du pays dans le cadre d'une mission de l'Alliance atlantique (Otan). Saïd lui sert d'interprète.
Ensemble, les deux hommes mènent des missions souvent dangereuses, survivent à des embuscades des talibans et subissent des menaces au quotidien. "Saïd m'a sauvé la vie plein de fois", souligne Joseph, que la RTS a rencontré à Basehor, au Kansas. Pour les interprètes, le risque existe partout. Leurs allées et venues vers la base américaine, leurs faits et gestes sont surveillés par les talibans.
Direction l'aéroport
Rentré aux Etats-Unis en 2007, le vétéran américain essaie en vain d'obtenir un visa pour son interprète. "C’était très frustrant", se souvient-il. "La situation était bloquée, en grande partie parce que notre gouvernement ne voulait pas faire venir des Afghans qui pouvaient contribuer à reconstruire leur propre pays."
Tout s'accélère en 2021 avec le retour des talibans à Kaboul. "J'ai appelé [Joseph]. Il a entendu les cris, les coups de feu. Je lui ai dit que je ne pourrais plus être en sécurité, que j'étais foutu", raconte Saïd. Avec sa famille, il se rapproche de l'aéroport où des milliers de personnes tentent, comme eux, de fuir le pays avant que ce ne soit plus possible.
Je me sens comme les vétérans du Vietnam. On n'a pas fini ce qu'on avait commencé.
A l'autre bout du monde, Joseph se démène. Il contacte d’abord le sénateur de son Etat pour accélérer la procédure auprès l’ambassade américaine, sans succès. Le vétéran épuise les canaux officiels. Il tente alors d'autres voies, "des contacts personnels, des amis dont je ne peux pas parler".
Plusieurs tentatives
Grâce à lui, Saïd figure sur une liste, mais il lui faudra plusieurs tentatives pour forcer le passage et pénétrer dans l'enceinte de l'aéroport. "Je suis arrivé dans un fossé. J'ai parlé à un soldat et j'ai donné mon nom... C'était le moment le plus dur de toute ma vie", confie l'ancien interprète de l'armée américaine, ému aux larmes.
A la RTS, Joseph avoue: "Je n'ai pas dormi pendant les quatre jours où il était près de l'aéroport". Le 24 août 2021, Saïd et sa famille laissent Kaboul derrière eux. Deux jours plus tard, un attentat suicide tuera plus de 180 personnes à l'endroit précis où ils sont entrés dans l'aéroport.
Aujourd'hui, le vétéran américain se réjouit d'avoir pu aider son ami afghan. Mais il ne cache pas une certaine amertume: "D'un point de vue stratégique je dirais que ce retrait devait arriver, mais je n'ai pas aimé la façon dont ça s'est passé."
Gaspard Kühn/jgal