Des talibans ont scandé des chants victorieux lundi à Kaboul, près de l'ancienne ambassade américaine, pour célébrer le premier anniversaire de leur retour au pouvoir en Afghanistan.
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Le 15 août 2021, les fondamentalistes islamistes s'étaient emparés sans combattre de la capitale Kaboul, au terme d'une offensive éclair menée sur tout le territoire contre des forces gouvernementales en déroute, à la faveur du retrait des troupes américaines et de l'Otan après vingt ans de conflit dans le pays qui a fait des dizaines de milliers de morts.
"C'est le jour de la victoire et du bonheur pour les musulmans et le peuple afghans. C'est le jour de la conquête et de la victoire du drapeau blanc" de l'Emirat islamique, a déclaré sur Twitter le porte-parole du gouvernement taliban.
Les images stupéfiantes de foules prenant d'assaut des avions stationnés sur le tarmac, grimpant sur des appareils ou tentant de s'accrocher à un avion-cargo de l'armée américaine en train de décoller ont marqué le monde.
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Les droits des femmes bafoués
Il y a un an, Habiba, un écolière de 12 ans, témoignait dans le documentaire du journaliste de la RSI Roberto Antonini après avoir été blessée par une bombe. "Habiba a survécu, elle a été soignée et elle est guérie, relate Roberto Antonini lundi dans l'émission de la RTS Tout un monde. Cent écolières avaient péri dans cet attentat commis par le groupe Etat islamique ou les talibans, selon les sources.
"Pour moi, c'était un jour d'école comme un autre. Ma voisine de pupitre était heureuse. Quand la cloche a sonné, nous sommes sorties de l'école. La bombe a explosé et l'a tuée. Je ne veux pas arrêter d'aller à l'école. Je continuerai, je n'abandonnerai pas. Je le fais aussi pour ma camarade afin qu'elle ne soit pas morte en vain."
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En dépit de leur promesse initiale, les talibans sont largement revenus à l'interprétation ultra-rigoriste de l'islam qui avait caractérisé leur premier passage au pouvoir entre 1996 et 2001, restreignant fortement les droits des femmes. "Habiba ne peut plus aller à l'école. Ses camarades garçons, eux, continuent d'y aller. Elle est donc très frustrée", explique Roberto Antonini.
Une population plus pauvre
Habiba vit dans la pauvreté comme beaucoup d'Afghanes et Afghans. "Ses frères ont perdu leur travail dans la police et dans une ONG étrangère. C'est une situation dans laquelle se trouvent beaucoup d'Afghans qui ont été licenciés parce qu'ils travaillaient pour le gouvernement ou ils ont tout simplement perdu leur travail d'interprète auprès des ONG", note Roberto Antonini.
La situation des frères d'Habiba est donc "très précaire". Ils gagnent entre 50 centimes et 1 franc par jour en chargeant et déchargeant des marchandises sur les marchés. Roberto Antonini indique toutefois qu'il n'existe pas de données économiques précises. "Le dernier recensement de la population remonte à la monarchie, il y a soixante ans", donne-t-il comme exemple, décrivant une situation "très confuse".
Les agences d'aides humanitaire s'alarment de voir la moitié des 38 millions d'habitants du pays confrontés à une pauvreté extrême. "Ce qu'on peut dire, c'est ce qu'on a observé: les marchés sont pleins. Le problème, c'est que les gens n'ont pas assez d'argent, décrit-il. Le pouvoir d'achat a baissé et la banque centrale n'a plus d'argent, car celui-ci a été bloqué par les banques étrangères, notamment les deux milliards qui pouvaient payer les fonctionnaires et les interprètes."
Les mariages forcés en hausse
Selon lui, les talibans n'ont pas les capacités pour gérer le pays, car ce sont des religieux et des combattants. "Des points de situation extrêmes évoquent que 95% des habitants sont sous le seuil de pauvreté. Cela me semble excessif. On n'a pas vu de gens mourir de faim, mais on a vu une extrême pauvreté."
L'une des conséquences de l'extrême pauvreté est l'explosion du nombre de mariages forcés, des fillettes vendues à leur belle-famille. Théoriquement, le mariage des enfants est interdit en Afghanistan. Un rapport de l'Unicef de 2018 indiquait toutefois que 42% des familles afghanes ont une fille qui se marie avant ses 18 ans.
"La guerre est terminée"
Samedi à Kaboul, des combattants talibans ont dispersé à coups de crosse de fusil et de tirs en l'air une quarantaine de femmes qui manifestaient pour le droit au travail et à l'éducation. "Les femmes ont complètement disparu de l'espace public", note Roberto Antonini.
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Le journaliste de RSI explique cependant qu'il n'y a plus de combats: "La guerre est terminée. Le pays est beaucoup plus sûr. On peut se balader sans prendre trop de risques. Il y a encore des attentats, surtout contre les mosquées chiites, les chiites étant considérés comme des apostats. Mais il n'y a pas de bombes à Kaboul."
Propos recueillis par Patrick Chaboudez
Adaptation web: Valentin Jordil