Septembre 1972: la prise d'otages des JO de Munich

Grand Format

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Introduction

Le 5 septembre 1972, huit membres de l'organisation palestinienne "Septembre noir" pénètrent dans un appartement de la délégation israélienne au Village olympique de Munich, tuant deux athlètes israéliens et prenant neuf autres membres en otage. Finalement, au terme d'une opération policière confuse, la prise d'otages se termine par un bain de sang avec la mort de 17 personnes.

Chapitre 1
Munich 1972, les "jeux de la paix et de la joie"

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Qui se souvient du palmarès des médailles des Jeux olympiques de 1972? Des 52 médailles d'or de l'URSS, loin devant les Etats-Unis (34)? De l'Allemagne de l'Est qui surclasse sa rivale de l'Ouest?

De la XXe olympiade d'été de l'ère moderne, organisée en pleine Guerre froide, le monde aurait pu retenir la domination soviétique. Il s'agissait d'une savoureuse revanche après la défaite quelques jours plus tôt de Boris Spassky, champion en titre d'échecs, lors du "match du siècle" contre l'Américain Bobby Fischer.

Mais la mémoire collective retient des Jeux de Munich un mot: carnage. Et cette phrase prononcée en pleine nuit du 6 septembre 1972 à la télévision américaine à l'issue de quatorze heures de direct sur la prise d'otages de onze athlètes israéliens: "They're all gone" ("Ils sont tous morts").

Faire oublier les Jeux de 1936

Pourtant les JO de Munich devaient être, pour le gouvernement allemand, les "jeux de la paix et de la joie". Dans son rapport officiel publié après les JO, en 1974, le Comité d'organisation rappelait que "la conception de base de ces Jeux visait à projeter l'image de la République fédérale d'Allemagne dans une atmosphère joyeuse et détendue".

L'enjeu pour le Comité international olympique et l'Allemagne était double: effacer le souvenir des précédents Jeux d'été, à Mexico en 1968 - quadrillés par l'armée et où des centaines d'étudiants avaient été tués par le gouvernement dix jours avant la cérémonie d'ouverture - ainsi que faire oublier le triste souvenir des derniers JO organisés sur le territoire allemand, les "Jeux de Hitler" en 1936 à Berlin.

>> Retour sur la cérémonie d'ouverture des JO de Munich, le 26 août 1972, dans La Matinale :

L'ouverture des Jeux olympiques de Munich, le 26 août 1972. [Keystone - EPA/DPA/Str]Keystone - EPA/DPA/Str
L'archive du jour - Publié le 26 août 2020

Chapitre 2
La guerre entre dans les Jeux

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Le 5 septembre 1972, à l'aube, le sport est relégué au second plan. Huit membres de l'organisation palestinienne "Septembre noir" - référence au massacre par le roi Hussein de Jordanie des combattants palestiniens présents sur son territoire en septembre 1970 - se dirigent vers le bloc 31 du Village olympique, où loge la délégation israélienne.

Sur les quinze sportifs présents, deux sont tués en tentant de résister, un troisième parvient à s'enfuir, un quatrième s'échappera un peu plus tard. Restent onze otages aux mains du commando. Leur revendication: la libération de 232 prisonniers palestiniens et des terroristes de la Fraction armée rouge Andreas Baader et Ulrike Meinhof.

"On entrait comme dans un moulin"

"Dans les Jeux de l'Antiquité, on interrompait les guerres pour que les Jeux continuent. C'était la trêve olympique. Aujourd'hui, la guerre entre dans les Jeux. (...) Il suffisait d'être en possession d'une bicyclette, d'être en survêtement, et même sans insigne on entrait dans ce Village olympique comme dans un moulin", résumait le journaliste sportif Eric Walter, sur les ondes de la RSR.

L'épave d'un hélicoptère allemand sur l'aéroport de Fürstenfeldbruck après une tentative, infructueuse, de libération d'athlètes israéliens enlevés aux Jeux olympiques de Munich en 1972. [KEYSTONE - AP]
L'épave d'un hélicoptère allemand sur l'aéroport de Fürstenfeldbruck après une tentative, infructueuse, de libération d'athlètes israéliens enlevés aux Jeux olympiques de Munich en 1972. [KEYSTONE - AP]

La Première ministre israélienne Golda Meir refuse d'entrer en matière sur la libération des activistes palestiniens. Les preneurs d'otages répliquent en jetant par le balcon le corps de Moshe Weinberg.

Les autorités ouest-allemandes dirigées par le chancelier Willy Brandt se montrent de leur côté embarrassées et démunies. Pour des raisons légales liées au statut fédéral de la République, seules les forces de l'ordre bavaroises peuvent intervenir et elles n'y sont nullement préparées. Une offre d'Israël d'envoyer des tireurs d'élite est rejetée.

Un dénouement sanglant

Les terroristes parviennent cependant à obtenir qu'un avion vienne les chercher, avec les otages, pour les emmener en Egypte. Un transfert est organisé vers la base militaire de Fürstenfeldbruck, à une trentaine de kilomètres de Munich, par deux hélicoptères.

Sur le tarmac, vers 23h00, la police décide d'intervenir. Elle tue trois terroristes, mais les cinq autres parviennent à faire exploser l'un des hélicoptères et à tuer tous les otages, ainsi qu'un policier ouest-allemand. L'opération policière a duré 75 longues minutes.

>> Les images de la prise d'otages dans le JT de la TSR :

La prise d'otages aux JO de Munich en 1972 [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 16 août 2022

Chapitre 3
"The games must go on"

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Les JO de Munich sont alors suspendus pendant 34 heures. Le 6 septembre, le lendemain du drame, le drapeau olympique est en berne dans le stade olympique, lors d'une cérémonie funèbre au son de la 3e Symphonie de Beethoveen.

Malgré les pancartes dans les gradins "Stop the Games" ("Arrêtez les Jeux"), le président du CIO Avery Brundage proclame, en raclant sa gorge, que les Jeux doivent continuer: "Je suis sûr que le public sera d'accord que nous ne pouvons pas permettre à une poignée de terroristes de détruire ce noyau de la coopération internationale, et la bonne volonté que nous avons dans le mouvement olympique. Les Jeux doivent continuer, et nous devons continuer nos efforts pour les garder propres, purs et honnêtes."

"Les assassins dans leur folie ont choisi de commettre leur crime dans l'arène même. Ils ont cassé et sali le symbole de l'expression de l'amitié entre les peuples et les nations. Ces terroristes ont anéanti les valeurs de base de la civilisation humaine", déclare alors l'ambassadeur israélien en Allemagne Eliyashiv Ben-Hurim.

La délégation suisse lors des Jeux olympiques de Munich en 1972. [KEYSTONE - STR]
La délégation suisse lors des Jeux olympiques de Munich en 1972. [KEYSTONE - STR]

La fin "d'un idéal de valeurs"

Dans le stade, tous les athlètes sont réunis, dont le Neuchâtelois Denis Oswald, qui participe aux épreuves d'aviron. "C'est resté un souvenir extrêmement présent. Ce fut une grande émotion, parce que j'avais l'impression qu'un idéal de valeurs était en train de s'effondrer", témoigne Denis Oswald, désormais membre de la commission exécutive du CIO, dans un entretien à la RTS en 2012.

Après la cérémonie, Denis Oswald quitte Munich. "Je n'avais plus de compétitions, mais je n'avais plus le coeur à être dans ce cadre, cette ambiance. Si j'avais eu des compétitions, est-ce que je serais parti quand même? Je n'en sais rien."

Je n'avais plus de compétitions, mais je n'avais plus le coeur à être dans ce cadre, cette ambiance

Denis Oswald, athlète aux JO de Munich

Fallait-il interrompre les JO? "Le débat existait au sein même du CIO", explique Patrick Clastres, historien du sport, à la RTS. "L'olympisme est présenté comme une philosophie: la paix entre les peuples par le sport. L'attentat venait rompre cette dynamique."

Et d'ajouter: "Dans les chancelleries, on a plutôt été sur une ligne de neutralité en observant ce que faisaient les dirigeants du CIO. Dans l'opinion publique, il y avait les adeptes du sport qui pensaient qu'il sert la cause de la paix mondiale et ceux, au contraire, qui considéraient - on est en pleine Guerre froide - que le sport est le lieu d'un affrontement symbolique, mais quand même violent, entre les nations du monde et que cela ne sert pas la cause des peuples."

>> Le récit de la prise d'otages dans "Au coeur du sport" en 2012 :

Le récit de l'attentat des JO de Munich dans Au coeur du sport en 2012
L'actu en vidéo - Publié le 16 août 2022

Chapitre 4
Sous les yeux du monde

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Bien avant CNN ou BFMTV, l'acte terroriste des Jeux de Munich est retransmis à la télévision. Une première. Des équipes de télévision américaines et allemandes s'installent dans les chambres du Village olympique qui donnent sur la résidence des athlètes israéliens. D'un coup, les 4000 journalistes sur place se détournent des compétitions sportives pour suivre la prise d'otages.

"Aux Etats-Unis, pendant des heures, les téléspectateurs ont pu voir l'immeuble, ont pu voir - comme nous - les Palestiniens qui passaient quelque fois la tête par la fenêtre, ont pu voir des tireurs d'élite couchés sur les toits", s'étonnait le journaliste sportif de la RSR Eric Walter.

Vives critiques

Cette couverture médiatique a été très critiquée. Car on s'est rendu compte sur le moment que le travail des médias avaient pu gêner l'action des forces de l'ordre. Les preneurs d'otage ayant la télévision, ils ont pu voir le déploiement des policiers allemands, ce qui explique en partie l'échec de la première tentative de libération des otages. Surtout, on a accusé les médias d'avoir offert aux preneurs d'otages une visibilité à leurs revendications.

Cela a été plutôt négatif pour la cause palestinienne, puisque elle émerge et on l'associe directement au terrorisme

Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, à Paris

Eric Walter a même dû se défendre à l'antenne de la RSR de faire le jeu des terroristes: "Je crois que l'impact des Jeux olympiques est en train de se retourner contre les Palestiniens. Car ils ont autour d'eux toutes les caméras des télévisions du monde qui diffusent partout l'horrible forfait qu'ils ont commis. Je me demande en définitive si leur cause n'est pas desservie."

"Cela a été plutôt négatif pour la cause palestinienne, puisqu'elle émerge et on l'associe directement au terrorisme", analyse Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, à Paris, dans une interview à la RTS en 2012. "En plus, un terrorisme contre des athlètes, alors que les Jeux sont le symbole de la paix, qu'il y a la trêve olympique qui a été donc violemment, brutalement et sauvagement rompue."

Chapitre 5
Opérations de représailles d'Israël

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Le 29 octobre 1972, un Boeing 727 de la Lufthansa est détourné après son décollage de Beyrouth par un commando de "Septembre noir" exigeant la libération de leurs trois camarades qui ont survécu après l'opération policière sur la base militaire de Fürstenfeldbruck.

Satisfaction leur est immédiatement donnée. L'avion est autorisé à se poser à Munich, embarque les trois terroristes et repart aussitôt vers la Libye.

En Syrie et au Liban

La vengeance d'Israël, en revanche, n'a pas attendu. Dès les jours qui suivent le drame de Munich, l'armée israëlienne déclenche des représailles aériennes contre différents camps palestiniens de Syrie et du Liban, tuant près de 200 personnes, dont de nombreux civils selon certaines sources.

Sur ordre de la Première ministre Golda Meir, le Mossad organise la traque et l'assassinat de plusieurs Palestiniens présumés impliqués dans la tuerie de Munich. C'est l'opération "Baïonnette", dite aussi "Colère de Dieu".

>> Un extrait de "Temps présent" en octobre 1972 :

Foule à Munich [RTS]
Temps présent - Publié le 19 octobre 1972

Chapitre 6
Un passé toujours douloureux

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Le 31 août dernier, le gouvernement allemand et les familles de victimes israéliennes sont parvenus à un accord sur les indemnisations. Cet accord, immédiatement salué par le président israélien, met fin à de confidentielles négociations tenues sur plusieurs décennies.

Le gouvernement fédéral, ainsi que le Land de Bavière et la ville de Munich vont verser 28 millions d'euros aux familles de victimes de cette prise d'otages, qui s'était soldée par la mort de onze athlètes israéliens.

"Le gouvernement fédéral salue l'accord avec les familles des victimes", a immédiatement réagi le porte-parole du gouvernement d'Olaf Scholz.

Réparation d'une "injustice historique"

Le président israélien Isaac Herzog a exprimé sa "gratitude" envers l'Allemagne pour ces indemnisations en réparation d'une "injustice historique".

L'accord prévoit aussi la mise en place d'une commission d'historiens allemands et israéliens qui devraient avoir accès à des documents jusqu'ici classifiés pour faire toute la lumière sur l'attaque et le fiasco policier.

Avec cet accord, l'Allemagne "s'acquitte de son obligation historique envers les victimes et leurs familles, dans le contexte de la relation spéciale germano-israélienne", ajoute le porte-parole.

Menace d'un boycott des commémorations

Les familles des victimes avaient prévenu le 11 août qu'elles boycotteraient les commémorations en Allemagne marquant le 50e anniversaire de la tragédie, jugeant insuffisante une offre de compensation des autorités allemandes.

Elles réclamaient aux autorités allemandes des "excuses publiques" pour "toutes leurs erreurs" et leurs "mensonges" dans cette affaire, "d'ouvrir toutes" leurs archives, ainsi qu'une "juste compensation".

Berlin proposait alors 10 millions d'euros, incluant les quelque 4,5 millions déjà versés en 1972 et 2002, pour un nouveau total d'environ 5,4 millions d'euros pour les 23 membres directs des victimes.

>> Les explications dans le 12h30 :

Un mémorial en hommage des victimes de la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich de 1972. [AP/Keystone - Matthias Schrader]AP/Keystone - Matthias Schrader
Le 12h30 - Publié le 5 septembre 2022