"Don't Pay", c'est l'initiative qui fait sensation en ce moment au Royaume-Uni où plus de 100'000 personnes se sont déjà engagées à ne plus payer leur facture de gaz et d'électricité à compter du 1er octobre, si rien n'est fait pour maintenir les tarifs à "un niveau abordable".
"L'idée de refuser un paiement en masse n'est pas nouvelle", rappelle Jeffrey James, l'un des initiants du mouvement à Bloomberg. Elle fait écho aux émeutes fiscales qui avaient accueilli, en 1990, un prélèvement imposé par la Première ministre Margaret Thatcher, et avaient participé à sa chute.
Il faut dire que l'addition commence à être salée pour les Britanniques. "La compagnie d'énergie me demandait de payer 80 francs par mois en avril. Maintenant, ils m'ont envoyé une lettre pour demander 360 francs", témoigne Sheila Eardley, rencontrée par la RTS à Londres.
J'ai arrêté de regarder la TV, d'écouter de la musique. Je cuisine le moins possible et j'éteins la lumière
Pour économiser, la retraitée a d'abord commencé par réduire sa consommation. Puis, elle a pris une décision plus radicale: "J'ai dit à la compagnie que je ne pouvais pas payer. Ma retraite augmente chaque année d'environ un franc. Elle ne s'adapte pas à l'inflation", justifie-t-elle.
Record d'impayés
A l'échelon national, un record de factures d'électricité impayées a déjà été enregistré sur un an, pour atteindre 1,3 milliard de livres sterling (1,5 milliard de francs suisses), signe de l'impact de la flambée du coût de la vie sur les Britanniques, d'après le site comparateur Uswitch.
Cette dette devrait encore augmenter car les tarifs de l'électricité doivent subir de nouvelles augmentations importantes dans les mois à venir, estime Uswitch dans un communiqué publié mercredi.
Le régulateur des tarifs énergétiques britanniques Ofgem doit annoncer le 26 août un relèvement du plafond des prix de l'énergie. Il devrait passer de 1971 livres (2264 francs) à 3358 livres (3858 francs) par an pour un foyer moyen, en raison de la flambée des cours de l'énergie. Des hausses ultérieures pourraient même porter les factures encore plus haut, jusqu'à 4427 livres (5086 francs) par an selon certaines prévisions.
Autant dire que dans ce contexte, les bénéfices semestriels mirobolants des géants énergétiques comme Shell, BP et Centrica -maison mère de British Gas qui approvisionne un tiers des foyers britanniques en gaz et en électricité- ont particulièrement choqué.
>> Lire à ce propos : L'idée de taxer les "superprofits" des groupes pétroliers fait son chemin
Tableau "sombre"
"Le Royaume-Uni paie à la fois la faiblesse de sa monnaie et sa forte dépendance au gaz, qui alimente quatre foyers sur cinq, et dont le prix a le plus augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine", constate Michel Girardin, chargé de cours en macro-finance à l'Université de Genève.
La situation est d'autant plus inquiétante que l'inflation atteint déjà des niveaux records et que plusieurs grèves ont déjà paralysé le pays, affectant plusieurs secteurs essentiels, dont les transports et les universités. Et la hausse des prix ne semble pas près de s'arrêter: de 10,1% en juillet, elle pourrait dépasser 13% en octobre, quand les hausses drastiques des prix de l'énergie sont prévues, selon les prévisions de la Banque d'Angleterre.
"L'inflation dans un contexte de stagnation économique, c'est le pire scénario pour une banque centrale", relève Michel Girardin, qui souligne que la meilleure façon de réagir face à un tableau aussi "sombre" n'est sans doute pas d'arrêter de payer les factures.
"On peut imaginer un système variable où chacun paierait ce qu'il consomme réellement ou des aides ciblées plutôt que des augmentations de salaires qui lanceraient un engrenage infernal". "Il y a toute une série de petites mesures comme prendre des douches plus courtes d'une minute ou réduire le chauffage d'un degré qui peuvent permettre aux gens de réduire leur facture d'environ 30%", complète pour sa part Josh Jackman, blogueur pour The Eco Experts.
Plan de soutien
L'inflation fait cependant fondre à une vitesse record le pouvoir d'achat des Britanniques, avec des salaires réels, c'est-à-dire ajustés après les hausses de prix, qui ont perdu 3% pour les trois mois terminés.
La crise énergétique va faire des morts. Des gens vont aussi devoir choisir entre pouvoir se chauffer et manger
"Je comprends que les temps sont durs et que les gens s'inquiètent des augmentations de prix auxquelles les pays du monde entier sont confrontés", a réagi le ministre des Finances Nadhim Zahawi, mettant en avant le paquet de soutien de 37 milliards de livres déjà annoncé par le gouvernement. Une réduction de 400 livres par ménage a également été promise aux ménages pour octobre lorsque la prochaine hausse devrait être effective.
En vacances en Grèce, le Premier ministre Boris Johnson, aux abonnés absents bien qu'officiellement encore aux affaires (lire encadré), n'a pas non plus réagi. Il porte pourtant une part de responsabilité dans ce qui arrive, estime Aurélien Antoine, professeur de droit à l'Institut Jean Monnet de Saint-Etienne.
"Boris Johnson a fait du Brexit un argument politique, mais il n'a pas du tout préparé le pays aux changements qu'impliquent la sortie de l'Union européenne. Les investissements nécessaires n'ont pas été faits, comme on l'a vu à Douvres", estime ce spécialiste du droit et des institutions britanniques. "Dans un premier temps, la situation du Covid a un peu masqué les problèmes liés au Brexit, aujourd'hui cela vient se télescoper à un contexte global défavorable pour une économie fortement tertiarisée et mondialisée comme celle du Royaume-Uni".
Succession politique
Celui ou celle qui prendra la tête du parti conservateur à la suite de Boris Johnson, qui a démissionné le 7 juillet après une série de scandales et de mensonges, ne pourra pas échapper au dossier du pouvoir d'achat et de la crise économique.
En lice, la cheffe de la diplomatie, Liz Truss, et l'ex-ministre des Finances Rishi Sunak, ont déjà commencé à s'affronter sur la façon dont ils comptent faire face à la crise du coût de la vie. Dans l'opposition, les travaillistes et les libéraux-démocrates appellent à de vraies aides financières.
Il n'y a pas de tempérament révolutionnaire au Royaume-Uni, mais il peut y avoir de fortes tensions tant les fractures sociales et territoriales sont profondes
En héritière de Margaret Thatcher, Liz Truss a promis de baisser drastiquement les impôts, une stratégie qualifiée d'"irresponsable" et de court terme s'apparentant à un "shot de sucre", selon son rival Rishi Sunak, qui veut d'abord maîtriser l'inflation avant d'alléger les taxes.
"Rishi Sunak a prévenu qu'il était temps d'arrêter avec les contes de fées", commente Aurélien Antoine. Car avant de peut-être voir les avantages du Brexit, le pays va devoir passer par toute une série d'adaptations, potentiellement douloureuses. A ce titre, l'hiver pourrait être rude.
Juliette Galeazzi
Reportage TV: Clément Bürge, à Londres
Liz Truss nettement en tête pour remplacer Boris Johnson
La ministre britannique des Affaires étrangères Liz Truss, nettement en tête, semble en très bonne position pour devenir Première ministre en septembre en remplacement de Boris Johnson, selon un nouveau sondage publié jeudi.
Elle a 32 points d'avance sur son concurrent, l'ancien ministre des Finances Rishi Sunak : 66% des membres du parti conservateur la soutiennent, seulement 34% lui préférant Rishi Sunak, selon ce sondage YouGov/Sky News mené auprès de 1089 membres du parti, qui ne tient pas compte des 13% qui n'ont pas encore décidé. Il y a deux semaines, un sondage YouGov/The Times lui donnait une avance de 38 points.
Les quelque 200'000 membres du parti conservateur votent cet été par correspondance ou en ligne, pour désigner celui ou celle qui va le remplacer comme chef du parti et donc comme Premier ministre. Son nom sera connu le 5 septembre (afp).