Pour mater des groupes rebelles du Darfour, l’ancien président du Soudan Omar al-Bachir avait armé et soutenu des milices arabes appelées Janjawid. Résultat: celles-ci ont perpétré un véritable nettoyage ethnique.
Le 24 avril dernier encore, un millier de miliciens ont ainsi massacré près de 200 personnes dans la petite ville de Kreinik. En plein mois de ramadan, des nuées de motos, de pick-up et d’hommes à cheval ou à dromadaire ont assailli cette bourgade du Darfour occidental.
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"Les gens étaient assis ici dans la mosquée. Ils étaient venus pour la prière du matin vers 6 heures et demie", raconte le muezzin Mohamed Ahmed dans l'émission Tout un monde de la RTS. "Soudain, les miliciens ont débarqué, ils ont tiré partout. Ils sont venus de toutes les directions, ils ont tué cinq personnes sans aucune raison.
"On est restés cachés sous les cadavres"
Les assaillants s'en sont pris ensuite au commissariat, où des policiers ont été brûlés vifs, puis à l’hôpital et à des écoles où de nombreuses femmes s’étaient réfugiées avec leurs enfants.
"On était cachés dans cette salle de classe. Ils ont tiré par la fenêtre et ma sœur s’est pris une balle dans le dos, elle est morte sur le coup", témoigne l'une d'entre elles. "On est restés cachés sous les cadavres de 8h00 à 14h00", poursuit Salwa Hassan. "Ma sœur a laissé derrière elle trois enfants (…) Qu’est-ce qu’on va faire de tous ces orphelins? On s’en remet à Dieu. Ils ont tué tout le monde". Terrorisée, elle n’a pas pu voir le visage des tireurs.
Des miliciens arabes formellement reconnus
D’autres, en revanche, ont vu la mort en face. L'électricien de l’hôpital est formel: ces miliciens Janjawids, principalement issus de tribus arabes baptisées Rizeigat, étaient soutenus par des unités paramilitaires sous les ordres du numéro 2 de la junte soudanaise, le général Dagalo, alias Hemetti.
"L’attaque était coordonnée entre les Janjawid et les Forces de soutien rapide, ils en portaient l’uniforme. Ils avaient des armes lourdes, mitrailleuses et sniper, ils sont venus avec des centaines de 4x4 surmontés de DShK [mitrailleuse lourde soviétique anti-aérienne, ndlr] et armés de RPG [lance-roquettes russe]", décrit Jumaa Zakaria. "Sans aucun doute, ce sont les véhicules des Forces de soutien rapide, c’était un assaut mené par des forces officielles.
"Nous sommes devant la fosse commune des martyrs de Kreinik, 205 personnes sont enterrées ici", enchaîne le professeur de chimie Hatim Ali Othman devant des monticules de terre recouverts de branchages à l'orée du village. "Ils ont été assassinés pour leur terre", explique-t-il. "On les dépossède de leurs parcelles et les déplace par la force pour que des colons puissent mettre la main sur cette région. Que notre Dieu les accueille et les sanctifie".
Une extermination voulue par les autorités?
D’après de nombreux témoins, un avion de l’armée soudanaise patrouillait dans le ciel la veille et le jour de l’attaque. Le village était alors encerclé, au nord, au sud et à l’ouest, par des campements de miliciens venus de toute la région.
Les autorités pouvaient-elles ignorer qu’un massacre allait être commis? "Elles savaient parfaitement que Kreinik allait être attaquée", assure Hatim Ali Othman. "Contrairement à ce qui est dit, ce n’est pas un problème tribal dès lors que des forces officielles sont impliquées. Les Forces de soutien rapide sont responsables des meurtres des citoyens, ces évènements ont été planifiés dans le but de nous exterminer. Ce n’est pas nouveau, on vit ça depuis 2003".
Dans le village voisin de Salami, à quelques kilomètres de Kreinik, il ne reste plus rien. On voit des maisons éventrées par les flammes à perte de vue. Sur les 700 familles qui vivaient là, seules 30 sont restées au milieu des cendres.
"Personne ne sort de la ville", souligne Salim Abdallah en jetant un regard craintif à l'horizon. "Si on s’éloigne de 200 mètres, on peut se faire tirer dessus", poursuit cet éleveur. "Avant-hier, du bétail a été volé ici. Il y a trois jours, des gens sont partis chercher du fourrage et ont été menacés. Les milices sont toujours là, nous sommes encerclés".
Course contre-la-montre pour éviter la famine
C’est le début de l’automne et les paysans devraient être en train de semer leurs parcelles, mais les conditions ne sont pas réunies. "Tous les habitants se demandent qui va garantir la sécurité de la période des semis", s'alarme un chef traditionnel de Salami, le omda Mohamed Adam. "Si les gens ne commencent pas à semer dans les deux prochaines semaines, ça sera trop tard. Et dans quatre ou cinq mois ce sera la famine, les gens mourront de faim".
Un tiers des Soudanais sont déjà en situation d’insécurité alimentaire, selon l’ONU. Et cette crise a encore empiré avec la guerre en Ukraine, alors que le Soudan importe près de 90% de son blé de la mer Noire. La faim touchera en priorité les populations vulnérabilisées par les conflits. En une année, près de 500'000 personnes ont été forcées d’abandonner leurs terres au Darfour.
Eliott Brachet/oang