UN TOURNANT MILITAIRE
Rien ne sera plus jamais comme avant cette nuit du 23 au 24 février 2022, où les sirènes ont retenti pour la première fois à Kiev. Depuis, plus de 5 millions de femmes, hommes et enfants ont quitté l'Ukraine. Des dizaines de milliers d'autres personnes ont été tuées ou blessées. Environ 30% des infrastructures de transport du pays ont été détruites.
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A l'échelle internationale, la guerre en Ukraine marque le retour d'une guerre de haute intensité sur sol européen. Rapidement, l'Union européenne (UE) annonce la livraison d'armes à l'Ukraine, une première, s'engageant résolument aux côtés du président Volodymyr Zelensky et des valeurs de liberté et de démocratie qu'il défend face au coup de force de Moscou.
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Les Etats-Unis ne sont pas en reste. En plus de livrer des armes à l'Ukraine, ils renforcent leur positionnement militaire en Europe dans le cadre de l'Organisation du Traité nord-atlantique (Otan). Depuis début 2022, 20'000 militaires supplémentaires ont été déployés, portant à 100'000 les effectifs américains stationnés sur le continent.
La Pologne, les Etats baltes et la Roumanie, en première ligne pour des raisons géographiques et historiques, accueillent l'essentiel des troupes de l'Otan. Face à la menace russe, l'Allemagne a décidé de se réarmer, la Finlande -historiquement non alignée- et la Suède s'apprêtent à rejoindre l'Organisation qui affiche une unité presque sans faille depuis le début de la guerre en Ukraine.
Au sein de l'Union européenne, la Pologne et les Etats baltes trouvent une nouvelle stature au sein du continent, eux qui étaient traditionnellement plus réticents que d'autres, la France et l'Allemagne notamment, face au rapprochement des Vingt-Sept avec Moscou. Soutiens inconditionnels du président Zelensky, ils prennent volontiers l'initiative sur certains dossiers.
La Première ministre estonienne Kaja Kallas a par exemple été la première à refuser des visas européens aux touristes russes au motif que "visiter l'Union européenne est un privilège et non un droit humain".
Moscou n'est de loin pas isolé à l'échelle mondiale. Plusieurs pays, parmi lesquels l'Inde et la Chine, n'appliquent pas les sanctions économiques infligées à la Russie, notamment par les Etats-Unis et l'UE. Ils se sont en outre abstenus lors du vote de la résolution de l'ONU condamnant l'agression russe.
UN TOURNANT ENERGETIQUE
Après avoir réussi à parler d'une seule voix jusqu'ici, l'Union européenne pourrait bien être mise au défi ces prochains mois alors que des élections anticipées pourraient venir bousculer la donne en Italie et que les conséquences directes des coupures de gaz russe deviendront de plus en plus visibles pour la population, en particulier dans les pays très dépendants de l'approvisionnement russe, comme la Hongrie et la Bulgarie. Cette dernière s'est d'ailleurs dit prête lundi 22 août à reprendre les négociations avec le géant Gazprom par crainte de pénurie cet hiver.
Jusqu'alors très dépendante énergétiquement de Moscou, la Bulgarie subit l'interruption des livraisons de gaz russe depuis avril, au même titre que la Pologne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Lettonie, pour avoir refusé de payer Moscou en roubles.
Mais le Premier ministre proeuropéen Kiril Petkov a été renversé en juin par une motion de censure et le cabinet intérimaire mis en place dans la foulée a appelé à "davantage de modération" vis-à-vis de la Russie. Il dit en outre craindre que les tentatives de diversifier les sources d'approvisionnement ne soient pas suffisantes.
Face aux cours du gaz naturel qui - comme le pétrole - flirte avec de nouveaux sommets, s'échangeant mardi à un niveau proche de celui de mars à 269,995 euros le mégawattheure (mWh), l'heure est au chacun pour soi et les pays se bousculent pour faire des réserves. La France a par exemple annoncé mercredi que ses réserves stratégiques de gaz étaient remplies à plus de 88%, alors que l'objectif fixé par le gouvernement est un remplissage complet au 1er novembre.
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Pour prévenir une interruption momentanée des livraisons de gaz russe, les dirigeants européens se sont toutefois accordés le 26 juillet sur une réduction de la consommation énergétique de l'ordre de 15% jusqu'au printemps.
Des mesures significatives ont été mises en place dans la foulée: publicités lumineuses interdites en France, appels à limiter l'usage de la climatisation en Grèce, douches froides dans les établissements publics en Allemagne...
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Cela suffira-t-il? Des entreprises prévoient déjà de suspendre leur activité par incapacité à absorber cette flambée des prix énergétiques. C'est le cas entre autres de fonderies d'aluminium en Slovaquie et de producteurs d'engrais au Royaume-Uni.
L'arrêt des livraisons de gaz russe pèse donc déjà sur les économies européennes. Son impact pourrait aller jusqu'à 6% du PIB pour certains pays d'Europe centrale et orientale, selon des estimations du Fonds monétaire international.
UN TOURNANT AGRO-ALIMENTAIRE
Avec deux protagonistes, parmi les dix plus gros producteurs mondiaux de céréales, la guerre en Ukraine met aussi en difficulté plusieurs pays, piégés par leur dépendance alimentaire. L'effet du conflit est ainsi venu s'ajouter à celui de la pandémie et de son impact sur le commerce international pour faire exploser le cours du blé, à +80% au printemps.
La situation semble cependant se détendre avec un accord signé le 22 juillet, conduisant à la reprise des exportations des céréales ukrainiennes en mer Noire, jusqu'ici bloquées par un embargo russe.
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En juin, la crise alimentaire menaçait plus de 250 millions de personnes à travers le monde. Conscients de ce danger, les pays du G7 se sont engagés à consacrer 4,5 milliards de dollars (4,3 milliards de francs) à la lutte contre la faim dans le monde. Ils ont aussi exhorté les pays et entreprises disposant d'"importants stocks de nourriture" à contribuer à atténuer la pénurie alimentaire, en réaction notamment
pour donner la priorité à sa population.
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a lui dit avoir besoin de 22,2 milliards de dollars cette année.
Juliette Galeazzi, avec Tristan Dessert