Le débit du gazoduc Nord Stream 1, qui relie la Russie à l’Europe, est réduit à 20% seulement de ses capacités, depuis cet été. Le prix du mégawattheure de gaz naturel est passé de 40 euros en juillet 2021 à 300 euros cette semaine*. En réponse aux sanctions adoptées par les pays européens depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, Moscou use de l’arme du gaz pour faire pression sur un continent très dépendant.
Les Européens se préparent à devoir se passer du gaz russe - qui représentait encore 40% de leurs importations avant la guerre - bien plus vite que ce qu’ils avaient prévu. L'annonce par Gazprom d'une fermeture totale de Nord Stream 1 du 31 août au 2 septembre pour cause de maintenance a encore renforcé les inquiétudes des pays européens. Les dirigeants de l’Union tentent à tout prix de remplir leurs réservoirs de gaz en prévision de l’hiver et misent aussi sur une baisse de la consommation. Les pays membres se sont mis d'accord, en juillet, pour réduire volontairement de 15% leur consommation de gaz. En Suisse, le Conseil fédéral vient de s'aligner sur cet objectif.
Risque de pénurie durable
"Est-ce qu’on aura cet hiver des coupures de gaz? Est-ce qu'entre aujourd'hui et l'hiver nous allons recevoir assez de gaz des différents pays? C'est la grande question qu’on se pose actuellement", relève Laurent Horvath, géo-économiste des énergies, invité dans l’émission Géopolitis. "On sait que l’hiver sera compliqué. (...) L’approvisionnement en gaz, c'est comme un bidon: vous avez un grand trou au fond et vous devez remplir sans arrêt votre bidon pour qu'il soit plein. Si on n'arrive plus à le remplir, il va se vider. Et le risque qu'on pourrait avoir, c'est qu'aux mois d'avril, mai, juin de l'année prochaine, il n'y ait plus de gaz."
Si au printemps, les besoins en chauffage sont moins importants, le gaz restera un élément-clé pour le fonctionnement de nombreuses industries, comme la métallurgie ou le secteur automobile. Laurent Horvath s’inquiète d’une possible vague de fermetures d'usines et de licenciements causée par le manque de gaz ou son prix trop élevé.
Profits russes et américains
Pour tenter de combler le manque de gaz russe, les pays européens achètent en quantité du gaz de schiste américain, importé par bateau. Extrait par fracturation hydraulique, il est bien plus polluant. Selon une étude française, son extraction émet plus de 40% de méthane supplémentaire. "C'était très bien joué de la part des Américains", estime Laurent Horvath. "Donald Trump a essayé de faire venir du gaz de schiste en Europe. Il n'y est pas parvenu. Et là, en l'espace de quelques mois, on s'est entièrement tourné vers les Etats-Unis."
Joe Biden a promis 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL) - ce fameux gaz transportable par bateau - supplémentaires à l’Europe pour cette année. Mais les dirigeants européens se tournent aussi vers d'autres producteurs, comme le Qatar, le Nigeria, Israël ou encore l'Algérie, où Emmanuel Macron est en visite officielle depuis jeudi.
De son côté, Vladimir Poutine ne semble pas craindre de se couper du marché européen. "Même si la Russie ne vend que 20% de son gaz à l'Europe, le prix de ce dernier est dix fois plus élevé", souligne Laurent Horvath. "Donc en vendant une toute petite partie de son gaz, elle gagne plus d'argent qu’avant. C'est vraiment un business qui est très profitable."
La crise énergétique pourrait déboucher sur des nouveaux dictateurs ou une tension sociale exacerbée à travers l'Europe.
Nouvelle réalité énergétique
Pour ce spécialiste des questions énergétiques, la crise actuelle du gaz n'est pas seulement liée à la guerre en Ukraine. "C'est parce qu'il y a physiquement moins de gaz. Pour le pétrole, ça risque d'être la même chose. On annonce un plateau de production pour 2025, 2027", souligne-t-il. Pour Laurent Horvath, la crise énergétique qui s'annonce va peut-être permettre de faire prendre conscience de la valeur de l'énergie et de diminuer son gaspillage.
Par contre, il ne croit pas que les Européens devront s'en remettre aux bougies pour s'éclairer. "C'est du buzz qui est fait par des personnalités pour se faire entendre", relativise Laurent Horvath qui s'inquiète plus des potentielles conséquences politiques de la crise énergétique: "cela pourrait déboucher sur des nouveaux dictateurs ou une tension sociale exacerbée à travers l'Europe." En France, en 2018, c'est en premier lieu contre l'augmentation du prix des carburants que les premiers Gilets jaunes se sont mobilisés.
Elsa Anghinolfi
*Prix des contrats de vente à terme sur le marché néerlandais TTF, qui fait référence pour le gaz naturel en Europe.