Agnès Levallois: "Si beaucoup parlent d'une victoire pour Bachar al-Assad, son bilan est en demi-teinte"
L'ONU déplore une diminution du financement de l'aide aux populations, ce qui oblige très concrètement à couper dans les rations alimentaires. Cette situation pousse toujours plus de monde sur les routes de la migration, avec les conséquences que cela engendre jusqu'en Europe.
11 ans de conflit
Pour Agnès Levallois, maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris et spécialiste du monde arabe, après 11 ans, le conflit syrien s'enlise.
"Bachar al-Assad a repris des zones entières, c'est ce qui donne ce sentiment de victoire, mais il ne contrôle en gros que 65-70% du territoire", explique la spécialiste dans l'émission Tout un monde de La Matinale. "Et il peut le faire seulement grâce à l'appui de ses alliés qui sont avant tout les Iraniens et les Russes. Sans eux, il ne pourrait pas contrôler grand-chose, car il n'a plus les moyens, même militaires. C'est donc un bilan en demi-teinte, même si beaucoup parlent d'une victoire de Bachar al-Assad."
Si, au début, on n'avait qu'une population pacifique qui s'est soulevée contre un régime autoritaire, le conflit a rapidement évolué, montant en intensité. Beaucoup d'acteurs régionaux et internationaux sont en effet présents sur le terrains aujourd'hui, tous avec des objectifs différents. "On est dans un jeu avec différentes parties prenantes qui défendent leurs intérêts. Tout ça sur le dos de la population syrienne qui n'a pas son mot à dire et qui vit une situation catastrophique", déplore-t-elle.
"Dans le nord de la Syrie, on a la Turquie qui est très présente et qui lutte contre les Kurdes syriens", résume-t-elle. "Elle a peur que ceux-ci, s'ils deviennent encore plus autonomes, accordent plus de soutien aux Kurdes turcs."
Les Iraniens, quant à eux, sont présents aux côtés de Bachar al-Assad avec les Russes. "Les Américains bombardent régulièrement des bases iraniennes car ils ne veulent pas que les Iraniens restent trop longtemps dans ce pays", pousuit-elle. "Sans oublier les Israéliens qui, eux aussi, bombardent les bases iraniennes, car il est hors de question que les Iraniens profitent du conflit en Syrie pour se maintenir dans le pays: ce sont eux qui apportent un soutien au Hezbollah libanais dans sa confrontation avec Israël."
Quant à l'organisation Etat islamique, elle est encore bien présente en Syrie, même si on n'en parle plus beaucoup, comme le souligne Agnès Levallois. "S'il essaie de donner une meilleure image sur place, l'EI est toujours présent avec des cellules et des combattants qui, de temps en temps, mènent des opérations parfois violentes."
Sommet de la Ligue arabe en vue
Quid de l'avenir? Il y a une volonté de certains pays arabes, dont l'Irak et la Jordanie, de normaliser la situation autour de la Syrie. Certaines ambassades ont d'ailleurs rouvert à Damas, comme le note la spécialiste. Toutefois, deux pays y sont opposés: l'Arabie Saoudite et le Qatar.
"Tous les regards sont maintenant tournés vers le sommet de la Ligue arabe qui doit se tenir à Alger en novembre, au cours duquel la question de la reprise des relations avec la Syrie va être posée. Et on sait aussi que l'Algérie est favorable au retour de la Syrie au sein de cette organisation. Donc il y a des tentatives et avancées qui sont très bien perçues par le régime de Bassar al-Assad", conclut-elle.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Fabien Grenon