Adel Bakawan: "Toutes les conditions sont réunies pour que l'Irak entre en guerre civile"
L'Irak est embourbé dans une "impasse politique" depuis les élections législatives d'octobre 2021. Les barons chiites de la politique n'arrivent pas à se mettre d'accord sur un nouveau Premier ministre, ni un nouveau gouvernement.
La crise a culminé en début de semaine avec les combats dans la Zone verte de Bagdad entre, d'un côté, les partisans du leader chiite Moqtada Sadr et, de l'autre, l'armée et les hommes du Hachd al-Chaabi, ex-paramilitaires pro-Iran intégrés aux forces régulières. Les partisans de Moqtada Sadr ont envahi le périmètre ultra-sécurisé au coeur de la capitale après que leur chef a annoncé son "retrait définitif" de la politique.
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Situation "très fragile"
"Depuis plusieurs années, je répète que l'Irak est dans une situation de guerre civile", souligne le directeur du Centre français de recherche sur l'Irak (CFRI) Adel Bakawan. Il indique que "toutes les conditions pour que les antagonistes politiques" s'affrontent sont réunies.
Selon le sociologue franco-irakien, auteur de "L'Irak, un siècle de faillite" publié fin août, "trois raisons" font qu'ils ne sont pas encore entrés "en chair et en os" en guerre civile: il faut partager les milliards du pétrole; il n'y a pas une force suffisamment puissante pour s'imposer et "une guerre civile équivaudrait à perdant-perdant"; les pays du Golfe qui ne souhaitent plus s'ingérer dans la situation inter-chiite.
"L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis sont dans la normalisation de leurs relations avec l'Iran et ils ne souhaitent pas le provoquer", analyse Adel Bakawan. Le directeur du CFRI explique aussi que la communauté internationale "mobilise tous les moyens" pour que les Irakiens n'entrent pas dans une guerre civile, alors que la guerre fait déjà rage en Ukraine.
Toutefois, la situation reste "très fragile". "Malgré les ressources financières du pétrole, les élites ne sont pas à la hauteur, ils ont des appartenances régionales et ils ne sont pas forcément en faveur de l''irakitude'", estime-t-il. Il pointe également du doigt la "systématisation de la corruption". "De 2003 à 2021, la corruption a coûté 420 milliards de dollars aux finances publiques."
Des attaques quotidiennes du groupe EI
Adel Bakawan met encore en garde: "Toutes les conditions qui ont permis l'émergence d'Al-Qaïda, puis du groupe Etat islamique en Mésopotamie se sont renforcées entre 2018 et 2022: la communauté sunnite marginalisée n'est pas intégrée à l'Etat irakien, tout comme la quasi-totalité du territoire sunnite où les organisations terroristes sont nées, et des cadavres sont encore présents dans les rues de Mossoul. "Il n'y a pas un seul jour où le groupe Etat islamique ne conduit pas une opération", dit-il.
Il juge que la formule sur laquelle le système politique irakien s'est construit entre 2003 et 2020 "est bloquée". Le sociologue franco-irakien appelle donc à une conférence internationale, "d'une manière civilisée et démocratique".
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/vajo