En 2018, Jair Bolsonaro avait été élu avec 55% des voix. Quatre ans plus tard, le président d'extrême droite se représente, mais dans un climat nettement moins favorable. "Le Brésil de 2022 est dans une situation socio-économique pire que celle de 2018, qui était déjà très mauvaise", analyse Christophe Ventura, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris, et invité de Géopolitis. "Vous pouvez prendre tous les indicateurs: la pauvreté, les inégalités, la faim, la malnutrition ou l’informalité - c'est-à-dire les gens qui travaillent au noir, sans contrat - et vous réalisez que le Brésil est dans la pire situation qu'il ait connue depuis 20 à 30 ans."
Trente-trois millions de personnes souffrent de la faim au Brésil. Une hausse de 70% en un peu plus d'un an. La situation économique des populations les plus pauvres a été fragilisée par l'inflation, qui s'élève à 10% au mois de juillet par rapport au même mois de l'année précédente, mais aussi par la crise économique et par les suites de la pandémie.
Avec 680'000 décès liés au Covid-19, le Brésil a le deuxième bilan le plus lourd au monde, derrière les Etats-Unis. Jair Bolsonaro, qui avait qualifié le virus de "grippette", est très critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire. En octobre 2021, une commission d'enquête parlementaire du Sénat brésilien avait demandé l'inculpation du président pour dix crimes, dont celui de "crime contre l'humanité" pour sa politique durant la pandémie.
Lâché par les élites économiques
Jair Bolsonaro a perdu des soutiens parmi les grands acteurs économiques du pays. "Le Brésil ne rassure plus les investisseurs et les marchés financiers", note Christophe Ventura, spécialiste de l'Amérique latine. "Il y a trop d'instabilité, trop de violence. Les élites économiques et financières du pays considèrent désormais qu'il coûte trop cher au Brésil pour pouvoir être conservé à la tête de l'Etat." Les sondages réalisés en prévision du premier tour de l'élection présidentielle, qui aura lieu le 2 octobre, prédisent une victoire de son adversaire, l'ancien président et figure de la gauche, Luiz Inácio Lula da Silva. "Il y a, aujourd'hui, un ras-le-bol quand même assez large de Bolsonaro dans la société brésilienne", analyse le chercheur.
Mais le président sortant conserve des appuis précieux, aussi au sein de l'économie. Les entreprises de l'agro-industrie, qui forment le premier secteur de l'économie brésilienne, sont toujours derrière lui. Jair Bolsonaro reste aussi très populaire auprès de l'importante communauté évangélique, qui représente entre un quart et un tiers de l'électorat. Sa femme, Michelle Bolsonaro, fervente évangélique, est d'ailleurs très présente dans sa campagne. Il peut encore compter sur des soutiens dans le monde des milices privées, des milices des grandes propriétés foncières et de la police, souligne Christophe Ventura.
Le bolsonarisme dépasse la figure de Jair Bolsonaro.
Plus largement dans la population, Jair Bolsonaro bénéficie d'un noyau dur de partisans, que Chirstophe Ventura estime à 25% voire 30% des Brésiliens. Car pour le chercheur, le "bolsonarisme" est devenu une vraie culture politique au Brésil. "Le bolsonarisme dépasse la figure de Jair Bolsonaro", défend Christophe Ventura. "C'est tout un Brésil de gens qui sont dans une forme d'individualisme agressif, de gens qui sont mués par un esprit de revanche, qui se trouvent aussi dans un système de travail précaire, d’ubérisation de la société. (...) Ces gens essaient de survivre dans une société de plus en plus brutale et se retrouvent non pas dans un discours de solidarité ou de coopération mais plutôt dans un discours d'affrontement dans la société."
Scénario à l'américaine?
"Notre ennemi n'est pas extérieur, il est intérieur. Ce n'est pas un combat entre la gauche et la droite, c'est le bien contre le mal", avait lancé Jair Bolsonaro lors d'un meeting devant des milliers de supporters, en mars dernier. "A l'instar de Donald Trump, il a déjà commencé à diffuser dans la société un discours qui favorise finalement de la violence politique", estime Christophe Ventura. Tout comme l'ancien président américain, Jair Bolsonaro, qui critique régulièrement le système de vote brésilien, pourrait ne pas reconnaître une éventuelle défaite le 2 octobre.
Mais Christophe Ventura juge peu probable l'hypothèse d'un coup d'Etat, au soir du premier tour, si le président sortant n'est pas réélu. Selon lui, Jair Bolsonaro n'aurait pas les soutiens suffisants pour cela, au sein de la population, des élites et surtout de l'armée. Mais pour le chercheur, il pourrait prendre exemple sur Donald Trump, en laissant ses militants les plus radicaux manifester leur colère: "Cela pourrait déclencher des violences, des incidents qu'on ne peut pas anticiper et qui nous emmèneraient dans un scénario incontrôlable, y compris pour Bolsonaro lui-même."
Elsa Anghinolfi
Le retour de Lula?
A 76 ans, Luiz Inácio Lula da Silva se présente pour la septième fois à la présidence brésilienne. Il a été à la tête du pays entre 2003 et 2011. "Lula est revenu en 2022 parce que la gauche n'est pas en mesure de gagner sans lui", souligne Christophe Ventura. "Elle n'a pas produit de nouveau leadership lui permettant de se "passer" de la figure de Lula."
Le leader du Parti des travailleurs reste très populaire bien qu'il ait reconnu des cas de corruption au sein de la compagnie pétrolière publique Petrobras, pendant ses mandats présidentiels. Lula fait campagne avec le soutien d'une large coalition politique allant de la gauche au centre droit, représenté par son colistier Geraldo Alckmin.
Pour Christophe Ventura, si Lula est élu, il cherchera à "réinstaller le Brésil comme leader de l'Amérique latine", alors que le pays a été "marginalisé" sur la scène internationale pendant le mandat de Jair Bolsonaro. Mais le chercheur prévient qu'en cas d'élection de Lula, il ne faut pas s'attendre à un alignement du Brésil sur les Etats-Unis ou sur l'Europe. Il s'agira plus "d'une forme de souveraineté plus marquée du Brésil et d'un non-alignement actif de ce pays pour obtenir le meilleur pour lui-même", précise-t-il.