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D'Elizabeth II à Charles III, la popularité de la monarchie à l'épreuve

L’accession au trône de Charles sera empreinte de défis sociaux et institutionnels. Le nouveau régent devra d’abord conquérir le cœur des Britanniques
L’accession au trône de Charles sera empreinte de défis sociaux et institutionnels. Le nouveau régent devra d’abord conquérir le cœur des Britanniques / 19h30 / 2 min. / le 9 septembre 2022
Avec la disparition de la reine Elizabeth II, la Couronne britannique perd non seulement une figure adulée, mais aussi le symbole de la stabilité de la monarchie, à l'interne comme dans les royaumes du Commonwealth. A 73 ans, le nouveau roi Charles III entame son règne avec un défit de taille: soigner sa popularité.

Le Royaume-Uni entrait vendredi dans une nouvelle ère. La disparition de la souveraine de 96 ans, décédée jeudi dans sa résidence écossaise de Balmoral après 70 ans de règne, a ouvert une période de deuil pour le pays. Elizabeth II laisse aussi un grand vide, tant elle était aimée des Britanniques qui, pour beaucoup, n'avaient connu qu'elle sur le trône.

>> Lire : Que va-t-il se passer après la mort d'Elizabeth II en Ecosse? et crise économique

Les défis sont considérables pour Charles, qui devient à 73 ans le monarque britannique le plus âgé au début de son règne. Proclamé officiellement monarque samedi matin, il hérite d'un royaume qui broie du noir face à la grave

et sociale et à l'unité fissurée par le Brexit, aux velléités d'indépendance et aux tensions communautaires en Ecosse et Irlande du Nord et aux soubresauts politiques avec l'arrivée à Downing Street d'une nouvelle Première ministre, la quatrième à ce poste en six ans.

A la tête du Commonwealth, Charles III devient de fait roi de 14 autres pays, dont le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, certains abritant eux aussi des velléités de s'affranchir de la couronne britannique (lire encadrés).

Avec le décès de la reine Elizabeth II, le Royaume-Uni perd donc un symbole, celui de la stabilité. "Sa longévité - 70 ans de règne - a fait d’elle un roc, un socle sur lequel toute la nation britannique, et même au-delà, a pu se reposer", analyse Moya Jones, professeure en civilisation britannique à l'université Michel de Montaigne-Bordeaux III.

Après la mort du dernier dirigeant de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev la semaine dernière et la mort d’Elizabeth II ce jeudi, c’est le 20e siècle que l’on enterre.

Moya Jones, professeure en civilisation britannique.

"Elle dominait la scène nationale et internationale depuis tellement longtemps, c’est extraordinaire. Elle a rencontré dix présidents français, connu sept papes, six chefs de l’URSS et quatorze présidents des Etats-Unis", détaille-t-elle dans l'émission Tout un monde vendredi. "Après la mort du dernier dirigeant de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev la semaine dernière et la mort d’Elizabeth II ce jeudi, c’est le 20e siècle que l’on enterre", estime-t-elle.

>> Lire aussi : Le poids symbolique de certains voyages d'Elizabeth II à travers le monde

Un prince mal aimé

L'accession au trône de Charles III, âgé et mal aimé, ouvre ainsi une période délicate pour une monarchie qui avait su, sous sa mère, résister aux crises. En 2021, selon un sondage de l'institut YouGov, à peine plus d'un tiers des Britanniques estimait que Charles ferait un bon roi, alors que plus de 70% avait une opinion favorable de la reine.

>> L'avis de Didier Dana, spécialiste de la famille royale, dans le 19h30 sur la tâche qui attend Charles :

Succession au Royaume-Uni: L’avis de Didier Dana, spécialiste de la famille royale, sur la tâche qu’attend Charles, entre continuité et unité
Succession au Royaume-Uni: L’avis de Didier Dana, spécialiste de la famille royale, sur la tâche qu’attend Charles, entre continuité et unité / 19h30 / 3 min. / le 9 septembre 2022

De quoi relancer les espoirs des partisans d'une abolition de la monarchie au profit d'une république - idée soutenue par seulement 15% des Britanniques ces dernières années, et que les célébrations du jubilé de la reine en juin ont même relégué à un bas historique. Charles "n'est pas protégé par la même aura presque impénétrable que la reine", observe Graham Smith, directeur du mouvement politique Republic favorable à l'abolissement de la monarchie parlementaire.

Une mer de bouquets et billets aux portes du château de Windsor, hommage de la foule à sa reine défunte. [AP/Keystone - Frank Augstein]
Une mer de bouquets et billets aux portes du château de Windsor, hommage de la foule à sa reine défunte. [AP/Keystone - Frank Augstein]

En 1953, Elizabeth II avait été couronnée à tout juste 25 ans, dans une atmosphère d'enthousiasme national dans un pays qui se relevait encore du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. Elle est restée toute sa vie une figure très populaire et respectée. A son accession au trône, "elle était une belle et jeune maman, on l’a vue grandir, vieillir et devenir grand-mère", relève Moya Jones.

L'accueil réservé à son fils aîné s'annonce très différent. A 73 ans, c'est un "vieux monsieur" qui monte sur le trône, souligne la spécialiste. "Il ne pourra pas juste copier la reine."

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>> L'interview de Moya Jones dans l'émission Tout un monde :

La Une d'un journal britannique après l'annonce du décès de la reine Elizabeth II. [AP/Keystone - Frank Augstein]AP/Keystone - Frank Augstein
L'empreinte globale de la reine: interview de Moya Jones / Tout un monde / 4 min. / le 9 septembre 2022

Journaliste à L'Illustré et spécialiste de la famille royale, Didier Dana confirme que cela va être compliqué pour Charles III. "Il a néanmoins quelques atouts dans sa manche", estime-t-il. "C'est un progressiste, même s'il n'en a pas l'air, et il est favorable à l'oecuménisme, son couronnement se fera devant toutes les communautés religieuses. Il a également beaucoup fait pour l'écologie", souligne-t-il dans La Matinale vendredi.

Le nouveau roi s'est longtemps fait remarquer par ses propos controversés, et parfois tournés en ridicule, sur des sujets comme l'agriculture ou l'architecture moderne (qu'il apprécie peu). Même si ses préoccupations environnementales sont désormais largement partagées, il va devoir se plier à une neutralité à toute épreuve, chaque mot du souverain étant scruté et commenté.

En 2018, il a assuré à la BBC avoir conscience qu'il devrait s'interdire toute prise de position: "Je ne suis pas si idiot".

Une telle neutralité s'annonce toutefois "très difficile" à tenir, notamment face aux velléités d'indépendance de l'Ecosse, tout en voulant sauvegarder la monarchie, relève Robert Hazell, professeur de droit constitutionnel à l'University College London, qui souligne cependant "le sens très fort du service public et du devoir public" de Charles.

>> Ecoutez l'analyse dans La Matinale spéciale :

Décès de la reine Elizabeth II après 70 ans de règne, suite
Décès de la reine Elizabeth II: l'émission spéciale, deuxième partie / La Matinale / 16 min. / le 9 septembre 2022

Né en 1948, Charles a épousé en 1981 Diana Spencer, avec qui il a eu deux enfants, William et Harry, avant le délitement de leur mariage et des révélations publiques sur leurs infidélités respectives qui mèneront à leur divorce.

Après la mort tragique de Diana en 1997 dans un accident de voiture à Paris, pourchassée par des paparazzis, Charles a épousé en 2005 son ancienne maîtresse Camilla Parker Bowles.

La famille royale a indiqué que Camilla, la deuxième épouse de Charles III, devrait porter le titre de "princesse consort" plutôt que "reine" pour ne pas choquer le public. Mais du point de vue légal, elle est devenue reine "automatiquement", relève Robert Hazell.

Son futur titre avait fait l'objet d'innombrables débats, mais Elizabeth II avait pourtant tranché en février 2022 à l'occasion de ses 70 ans de règne. Elle avait alors exprimé "le souhait sincère" que Camilla soit connue "comme reine consort" quand Charles accéderait au trône.

Charles et Camilla, le 14 juin 2022 aux courses hippiques d'Ascot. [EPA/Keystone - Neil Hall]
Charles et Camilla, le 14 juin 2022 aux courses hippiques d'Ascot. [EPA/Keystone - Neil Hall]

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"La Firme" redimensionnée

Pour maintenir l'institution, certains experts estime qu'il est "concevable" que Charles abdique en faveur de son fils William, né en 1982 et très populaire (lire encadré), une option toujours rejetée par Elizabeth II. Selon d'autres analystes toutefois, Charles "ne laisserait pas tomber".

Face aux critiques croissantes sur le train de vie de la famille royale, les spécialistes de la monarchie sont en revanche unanimes à prêter à Charles le désir de réduire le nombre de ses membres actifs - cercle appelé aussi "La Firme" à l'interne - vivant aux frais de la couronne et se consacrant aux engagements publics. Ils sont actuellement une dizaine.

"La Firme" a connu une cure d'amaigrissement, avec notamment la mise en retrait du prince Andrew et le départ du prince Harry. [AP/Keystone - Aaron Chown]
"La Firme" a connu une cure d'amaigrissement, avec notamment la mise en retrait du prince Andrew et le départ du prince Harry. [AP/Keystone - Aaron Chown]

>> Lire : "La monarchie britannique doit se moderniser pour survivre"

La tendance a déjà été impulsée avec la mise en retrait du prince Andrew, frère de Charles, mis en cause pour son amitié avec le défunt financier américain Jeffrey Epstein, accusé de trafic de mineures, puis le départ en Californie de son fils Harry et sa famille.

Pour Robert Hazell, plus que financier, l'intérêt de poursuivre sur cette voie est surtout de limiter les risques qu'un membre de la famille royale ne "dérape". Il reviendra également à Charles de distribuer les titres, choisissant par exemple s'il transmet à son fils celui de "prince de Galles" qu'il portait depuis 1958.

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Monnaies, timbres, hymne, passeports: ce qui va changer

De l'hymne national aux billets et pièces de monnaie, en passant par les timbres et les passeports, de nombreux aspects de la vie quotidienne au Royaume-Uni vont changer avec l'accession de Charles III au trône.

Le visage du nouveau roi va commencer à apparaître sur les pièces de monnaie et les billets de banque au Royaume-Uni et dans d'autres pays du monde, remplaçant le profil d'Elizabeth II.

Son effigie apparaîtra également sur plusieurs autres devises utilisées dans les Caraïbes orientales, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Idem dans les îles anglo-normandes de Jersey, Guernesey, sur l'île de Man ainsi qu'à Gibraltar, Sainte-Hélène et dans les Malouines, îles et territoires contrôlés par la Couronne britannique.

Des coupures de livres britanniques représentant la reine Elizabeth II. [EPA/Keystone - Andy Rain]
Des coupures de livres britanniques représentant la reine Elizabeth II. [EPA/Keystone - Andy Rain]

En 1936, pendant le règne du roi Edouard VIII, qui a duré 326 jours, des pièces avaient été frappées, mais le monarque a abdiqué avant leur mise en circulation.

Le visage d'Elizabeth II figure également sur les timbres tandis que les lettres EIIR, pour Elizabeth II Regina, sont apposées sur les boîtes aux lettres, ce qui devra donc être modifié. L'insigne apposée sur les casques de police changera également.

L'hymne national britannique va devenir "God Save the King", avec une version masculinisée des paroles. Une habitude qui sera sans doute difficile à prendre pour les Britanniques, qui entonnent "God Save the Queen" depuis 1952. C'est aussi l'un des deux hymnes nationaux de la Nouvelle-Zélande et l'hymne royal en Australie et au Canada, qui ont leur propre hymne national.

Katharina Kubicek avec les agences

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William et Kate, la royauté Instagram en embuscade

Le couple glamour formé par Kate Middleton et le prince William, désormais héritier de la couronne britannique, porte les espoirs, avec leurs trois enfants, d'une monarchie moderne et proche des Britanniques.

Leur compte Instagram, très suivi, affichait jeudi soir une photo en noir et blanc de la reine Elizabeth II. Mais il raconte habituellement la vie de cette famille apparemment parfaite, avec de nombreuses photos de leurs trois enfants - le prince George, 9 ans, la princesse Charlotte, 7 ans, et le prince Louis 4 ans, dont les grimaces durant le Jubilé de la reine en juin dernier avaient fait les délices des photographes.

Le couple, 40 ans tous les deux, a déménagé le mois dernier sur le domaine de Windsor, où résidait habituellement la reine depuis la pandémie de Covid.

"L'énorme intérêt qu'ils suscitent" tient "évidemment" au fait qu'ils incarnent le futur de la monarchie, estime l'expert de la royauté Richard Fitzwilliams, mais aussi à "la façon bien à eux" qu'ils ont "de gérer les choses". Ils "sont passés maîtres dans l'art de maîtriser aussi bien le formel que l'informel", juge-t-il.

En Australie, appels à abandonner la monarchie

A peine le décès de la reine d'Angleterre Elizabeth II annoncé, des voix se sont élevées vendredi pour appeler à renoncer à la monarchie en Australie. "Maintenant, l'Australie doit aller de l'avant. (...) Nous devons devenir une République", a tweeté le chef du parti des Verts australien, Adam Bandt, après avoir présenté ses condoléances.

L'Australie est devenue "une nation mature et indépendante" pendant le règne de la reine, a déclaré également l'Australian Republican Movement (mouvement républicain australien). "Il est peu probable que nous revoyions un jour un monarque aussi respecté et admiré par le peuple australien", a-t-il ajouté dans un communiqué.

Face à ces commentaires, le Premier ministre australien Anthony Albanese, bien qu'en faveur d'une république depuis longtemps, a appelé à plus de retenue. "Aujourd'hui n'est pas un jour pour la politique", a-t-il déclaré à la Radio National, citée par le journal britannique The Guardian.

"Aujourd'hui, nous rendons hommage au service rendu par la reine Elizabeth en tant que chef d'État pendant ces 70 années et nous remercions son dévouement et sa contribution pour l'Australie", a-t-il ajouté.

L'idée de quitter la monarchie ne date pas d'hier dans ce pays du Commonwealth. La population avait été appelée à se prononcer sur un tel retrait en 1999, mais le référendum avait échoué.

L'opéra de Sydney illuminé du portrait d'Elizabeth II, vendredi 9 septembre 2022. [AP/Keystone - Mark Baker]
L'opéra de Sydney illuminé du portrait d'Elizabeth II, vendredi 9 septembre 2022. [AP/Keystone - Mark Baker]

Soutien à la monarchie britannique en perte de vitesse au Canada

La reine Elizabeth II était une "présence constante" dans la vie des Canadiens et "restera à jamais une partie importante de l'histoire de notre pays", a déclaré jeudi le Premier ministre canadien Justin Trudeau après l'annonce du décès de la monarque, précisant qu'elle avait été la reine du Canada "pendant près de la moitié de l'existence" du pays.

En soixante-dix ans de règne, Elizabeth II s'est rendue 22 fois au Canada - plus que dans aucun autre pays. Lors de sa dernière visite, en 2020, la monarque avait déclaré à la foule rassemblée à Halifax, dans l'est du pays: "c'est bon d'être chez soi!".

Partout dans le pays "les Canadiens porteront le deuil de la Reine. Prenons un instant pour honorer la mémoire de Sa Majesté, chacun à sa manière", a de son coté tweeté Mary Simon, gouverneure générale du Canada et représentante officielle d'Elizabeth II dans le pays.

Pourtant, l'attachement à la couronne d'Angleterre est loin d'être un sentiment universellement partagé au sein de l'ex-colonie britannique. En avril 2022, un sondage de la firme Angus Reid montrait que la moitié des Canadiens (51 %) était d'avis que le Canada ne devrait pas rester une monarchie dans les générations à venir. Au Québec, l'appui à la fin de la monarchie était même de 71 %.

Un autre sondage d'Angus Reid, réalisé en novembre 2021, montrait que si 55 % des Canadiens appuyaient la place du Canada dans la monarchie avec la reine Élisabeth II, cet appui tombait à 34 % pour son successeur, Charles, le nouveau roi du Canada.