Anna Colin Lebedev: "Toute idée de fraternité entre l'Ukraine et la Russie a été détruite"

Anna Colin Lebedev a grandi à Moscou avant de s'installer à Kiev. L'auteure vient de publier aux éditions du Seuil son dernier ouvrage consacré à la guerre en Ukraine: "Jamais frères? Ukraine et Russie: une tragédie postsoviétique".

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"Il faut relever qu'un point d'interrogation figure dans mon titre. Est-ce que ces deux pays n'ont jamais été frères? Ou est-ce qu'ils ne le seront plus jamais? Je ne veux justement pas répondre à ces questions", livre la politologue lundi dans La Matinale.

Selon elle, le conflit actuel a en tout cas enterré toute confiance entre l'Ukraine et la Russie. "La souffrance est d'autant plus forte que la proximité était grande. Pendant longtemps, les Ukrainiens ont fait la différence entre le Kremlin et la population russe. Mais à partir de l'annexion de la Crimée en 2014, ils ont été choqués par le soutien des Russes à ce projet belliqueux. Depuis le début de la guerre cette année, les Ukrainiens constatent qu'il n'y a pas d'opposition forte en Russie. Le choc est donc immense et le lien s'est rompu entre les sociétés également."

Sentiment de trahison

Anna Colin Lebedev évoque un sentiment de trahison que les Ukrainiens vont inscrire dans une continuité historique. "Désormais, ils se disent que ce n'est pas que le pouvoir russe qui a cherché à les exterminer, mais que la population russe les a toujours vus comme inférieurs, comme ne méritant pas une existence séparée. Face à un voisin comme cela, on ne peut que le rejeter le plus complètement possible", explique la spécialiste des sociétés post-soviétiques.

En Europe, les différences entre les deux pays sont mal perçues, estime la checheuse. "Ils ont un socle commun très fort, mais aussi des différences historiques importantes. Aujourd'hui, les sociétés se sont beaucoup éloignées. Le socle commun aurait pu donner lieu à une proximité renouvelée." Force est de constater que cela n'a pas été le cas.

Contre-offensive

Sur le terrain en Ukraine, Kiev a revendiqué ces derniers jours de nouveaux succès militaires contre les Russes dans l'est et le sud de son territoire. De son côté, Moscou reconnaît avoir perdu du terrain.

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"Dans cette guerre, nous sommes allés de surprise en surprise. La surprise de l'attaque, de la capacité ukrainienne à résister, de l'état de l'armée russe, et aujourd'hui la surprise de cette contre-offensive alors qu'on pensait la guerre enlisée, stabilisée, pour de longs mois. Rien ne se passe comme on s'y attend", indique Anna Colin Lebedev.

La population ukrainienne attendait ce moment, rappelle-t-elle. "Le pouvoir a répété depuis plusieurs mois que ces territoires seraient repris. Le symbole des photos qui circulent, montrant l'armée ukrainienne qui plante à nouveau le drapeau sur les bâtiments des villes, ça a un effet très fort en Ukraine."

Si la Russie doit battre en retraite, faut-il craindre une réaction irrationnelle de Vladimir Poutine? "Il pourrait y avoir une escalade en réponse à cette contre-offensive. La pression que subit Vladimir Poutine ne vient pas de la part des anti-guerre en Russie, mais des pro-guerre. Il ne peut pas se montrer faible face à cela, donc on peut anticiper de nouveaux développements qui pourraient être assez effrayants", conclut la politologue.

>> L'Ukraine revendique de nouveaux succès militaires. Les précisions dans La Matinale :

AFP - Abdullah Unver

Propos recueillis par David Berger/gma