Publié

Six mois après, quel est l'impact réel des sanctions occidentales sur l'économie russe?

Un terminal pétrolier dans la région de Saint-Petersbourg, en Russie. [Keystone - Anatoly Maltsev]
Les sanctions contre la Russie fonctionnent-elles ? / Tout un monde / 5 min. / le 12 septembre 2022
Alors que l'Europe fait face à une forte inflation, en particulier dans les prix de l'énergie, la question de l'efficacité des sanctions infligées à la Russie se pose avec de plus en plus d'insistance. En l'absence d'indicateurs économiques précis venus de Moscou, les Occidentaux spéculent et croisent les doigts.

Lancées en plusieurs vagues dans la foulée de l'invasion de l'Ukraine, les sanctions occidentales envers la Russie étaient supposées étouffer l'économie russe et assécher les finances de Moscou, afin de lui faire renoncer à sa guerre.

>> Lire à ce sujet : Trois mois après le début de la guerre, la Russie sur le chemin de la "déglobalisation"

Mais pour l'heure, elles semblent n'avoir que peu d'effets sur la vie quotidienne de la population russe. Elles semblent même paradoxalement bénéficier en partie à l'économie russe, tandis que les populations européennes souffrent du renchérissement de l'énergie, les hydrocarbures en tête.

Si le problème est, pour l'heure, principalement soulevé par des mouvements d'extrême-droite, comme la Lega de Matteo Salvini en Italie ou le Rassemblement National de Jordan Bardella en France, la question fait débat bien au-delà de ces mouvements radicaux.

>> Lire aussi : Record d'inflation en Europe, la guerre fait flamber les prix

Une population relativement épargnée

Dans sa communication officielle, Moscou continue d'affirmer que les sanctions n'ont aucun impact. Tout au plus le président Vladimir Poutine a-t-il concédé quelques "problèmes" mercredi dernier, tout en continuant son chantage autour de l'arrêt du gazoduc Nord Stream 1.

Quant à la population russe, elle ne semble pas trop ressentir l'effet des sanctions et manquer de biens de première nécessité. Du moins dans les villes comme Moscou.

Si la hausse du prix de certains produits se fait sentir au supermarché, des alternatives moins chères existent généralement. "Tout au début de l'opération en Ukraine, les prix ont beaucoup monté. Maintenant, ils retrouvent des niveaux normaux. Seuls les prix des aliments n’ont pas baissé, mais mon salaire est resté stable", témoigne une commerçante lundi dans l'émission Tout un monde. "Avant comme après les sanctions, on travaille toujours de la même façon. Le magasin fonctionne bien."

Si le quotidien des Russes n’a pas beaucoup changé, les sanctions se font en revanche sentir dans la production industrielle. "Au début, les pièces sont devenues plus chères. Mais maintenant, les prix redescendent très progressivement. Sauf pour les marques européennes. Parce qu'à partir de l’Europe, elles mettent plus de temps à arriver", explique un responsable des commandes dans un garage moscovite.

Mais cela ne l’empêche pas de réparer quand même les véhicules européens. Pour cela, comme pour beaucoup d’autres choses en Russie, il existe une parade: "Auparavant, de nombreux clients voulaient des pièces d’origine. Et maintenant ils sont nombreux à installer des copies, qui restent de bonne qualité."

>> Écouter le reportage complet de Tout un monde :

Le Kremlin et la cathédrale St-Basil à Moscou. [afp - Dimitar Dilkoff]afp - Dimitar Dilkoff
Reportage à Moscou: les sanctions occidentales ont-elles un impact ? / Tout un monde / 5 min. / le 12 septembre 2022

Manque de données concrètes

Au-delà du ressenti de la population, l'évaluation de la situation réelle de l'économie russe est compliquée. Le Kremlin a cessé de produire des données mises à jour sur ses différents indicateurs économiques et les informations fiables manquent.

D'après Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales pour l'Intelligence Unit du journal The Economist, les sanctions ont eu un réel effet à court terme sur l'économie russe, même si elle ne s'est pas complètement effondrée. "On s'achemine cette année vers une récession d'environ 6 à 7% en Russie, selon les dernières prévisions du FMI. La consommation des ménages a baissé, l'investissement aussi", note-t-elle.

Après s'être effondré dans la foulée des premières sanctions occidentales, le cours du rouble s'est largement renforcé face à l'euro. [Source: abcbourse.com]
Après s'être effondré dans la foulée des premières sanctions occidentales, le cours du rouble s'est largement renforcé face à l'euro. [Source: abcbourse.com]

Par ailleurs, comme l'Europe, la Russie doit faire face à une inflation galopante, tandis que la banque centrale et les pouvoirs publics ont dû intervenir massivement et introduire un contrôle strict des changes, interdisant par exemple aux ménages russes de retirer leur épargne en devises étrangères, afin de protéger le cours du rouble.

>> Sur le même sujet : Isolée comme jamais, l'économie russe se prépare à des lendemains difficiles

Une balance commerciale largement bénéficiaire

Fort de ces interventions, le rouble est ainsi devenu l'une des monnaies les plus performantes du monde en 2022, ce qui a pour effet de renchérir les exportations russes et de rendre ses importations moins chères.

Or, la Russie parvient toujours à exporter ses hydrocarbures, dont les prix ont explosé sur les marchés internationaux en raison des craintes de pénurie. Ses exportations de barils de pétrole ont chuté de moins de 8% depuis le début de la guerre. Par conséquent, son excédent commercial est actuellement exceptionnel.

Toutefois, selon Agathe Demarais, cet effet est trompeur, car il ne traduit pas seulement l'augmentation de la valeur des exportations russes, mais aussi la diminution de ses importations liée à l'effondrement de la consommation des ménages. La Banque de Russie a d'ailleurs progressivement diminué ses taux directeurs après les avoir fortement augmentés dans la foulée de l'offensive en Ukraine. Lors d'une prochaine réunion le 16 septembre, elle pourrait décider de les réduire encore pour stimuler les crédits et la consommation.

Les semi-conducteurs, cette arme de guerre

L'activité industrielle est quant à elle clairement touchée par les sanctions, estime la prévisionniste. Et elle le sera encore plus à l'avenir, principalement en raison de la difficulté d'accès aux semi-conducteurs, qui sont cruciaux dans la production de composants électroniques de base.

"La Russie n'a plus accès à ces semi-conducteurs, car ce sont principalement des entreprises américaines qui contrôlent les technologies", explique-t-elle, rappelant en outre que ces matériaux sont aussi essentiels dans le domaine de l'armement.

À ce sujet, le Financial Times rapportait la semaine dernière que Moscou serait en train d'acheter en masse des missiles et des pièces d'artillerie à la Corée du Nord pour poursuivre son effort de guerre.

Les hydrocarbures, la grande inconnue

À plus long terme, l'effet réel des sanctions va sans doute dépendre principalement du rôle que vont jouer les grandes puissances économiques en Asie que sont l'Inde et la Chine, vers lesquelles la production d'hydrocarbures russe a été redirigée. Et à ce sujet, les avis divergent.

Pour l'économiste Christian Saint-Etienne, les sanctions risquent de se retourner contre ceux qui les ont mises en place, au premier rang desquels figurent les Européens. Selon lui, sur une période de cinq à dix ans, "la Chine remplacera l'Europe et les sanctions se retourneront contre le sanctionneur", car la Russie possède des liquidités importantes qui lui permettront de réorienter ses exportations.

Un avis que ne partage pas Steven Tian, directeur de l'Institut de management de l'université de Yale. Selon lui, la Russie ne pourra pas compter sur l'Inde ou la Chine pour compenser ses pertes. "Construire des gazoducs prend du temps et coûte beaucoup d'argent. Le seul gazoduc qui existe actuellement entre la Russie et la Chine a été entièrement financé par la Chine et a coûté des milliards de dollars", expose-t-il. Or, la Russie n'a plus la même position pour négocier. "Je ne pense pas que la Chine va vouloir financer des nouvelles installations dans les mêmes proportions", anticipe-t-il.

De plus, selon Agathe Demarais, la Russie ne pourra pas compter éternellement sur sa position de force en matière de pétrole et de gaz, car les réserves de certains de ses champs d'hydrocarbures s'épuisent.

"Il est donc crucial pour la Russie de parvenir à développer de nouveaux champs gaziers, notamment dans l'Arctique. Mais c'est très coûteux et ça nécessite une technologie occidentale", note-t-elle. Elle prédit donc une "lente asphyxie de l'économie russe": "Il paraît illusoire de penser, à ce stade, que l'économie russe pourrait parvenir à se diversifier pour ne plus dépendre de la rente énergétique."

L'hiver approche

À court terme, l'hiver approchant, les sanctions continueront sans doute de profiter en partie à la Russie, même si l'Union européenne et les Etats-Unis continuent de maintenir une pression pour limiter cet effet. Et dès la fin de l'année, il est prévu que l'Europe cesse presque complètement ses importations de pétrole russe.

Les deux camps sont donc engagés dans un marathon de longue haleine, qui ne devrait pas pour autant faire cesser les combats sur le sol ukrainien. Mais les Occidentaux espèrent toujours que leurs sanctions affaiblissent suffisamment la Russie au point de l'amener à la table des négociations.

>> Le suivi de la situation en Ukraine : L'Ukraine dit avoir repris 500 km2 dans le sud aux Russes qui bombardent les zones reconquises

Sujets radio: Francesca Argiroffo et Jean-Didier Revoin

Texte web: Pierrik Jordan

Publié