Les corps des victimes d'un double accident d'Air India laissés à l'abandon sur un glacier de Chamonix
En 1950, le "Malabar Princess", un Lockheed Constellation, s'est écrasé au sommet du Mont-Blanc, faisant 48 victimes. Seize ans après, un autre avion d'Air India le "Kangchenjunga", un Boeing 707, est tombé au même endroit, causant la mort d'une centaine de victimes. A cause des mauvaises conditions météorologiques et du danger lié aux avalanches, seul un corps a été récupéré à l'époque.
Les autres ont été laissés dans la montagne, en attendant un temps plus clément. Mais les recherches n'ont jamais repris et les corps sont restés prisonniers des glaces. L'émission de la RTS Mise au point s'est rendue sur place. Après trois heures de marche, sans difficultés majeures, il est possible de rejoindre le bas du glacier des Bossons, situé dans le massif du Mont-Blanc.
Avec la fonte des glaciers, de plus en plus de débris d'avions, de bouts de tissu, d'ossements et d'éléments qui ressemblent à des cheveux sont visibles. Actuellement, des nombreux fragments d'os sont perceptibles sur le glacier des Bossons. Impossible d'établir à qui ils appartiennent et s'ils sont tous d'origine humaine.
L'attrait pour le "trésor"
Le lieu des accidents attire les chasseurs de trésors. Car peu après le crash du "Kangchenjunga", des agents mandatés par la compagnie d'assurance britannique Lloyd’s avaient déclaré qu'un colis d'émeraudes se trouvait à bord de l'avion. En 2013, un habitant de la vallée a découvert des rubis d'une valeur de 300'000 euros. Comme la loi française le prévoit, la commune et le "chasseur de trésors" se sont partagés cette somme.
"C'est la sortie quotidienne des trois quarts des Chamoniards, de ceux qui sont à la recherche des 'trésors'", explique Josée de Vérité, une artiste qui crée des oeuvres d'art avec les débris des avions pour "rendre hommage" aux victimes. Elle est régulièrement confrontée à des restes humains. "Je ne les ramasse pas, pour moi ils doivent rester dans le glacier. C'est leur linceul", dit-elle.
"C'est abject"
Les images du reportage et les propos de Josée de Vérité ont soulevé de nombreuses réactions de téléspectateurs, notamment sur les réseaux sociaux: "C'est abject de fouiller ainsi sans avoir un minimum de respect pour les restes humains", "horrible" ou encore "je suis choquée".
Françoise Rey, qui a écrit deux livres sur ce double accident aérien, n'est pas surprise par les réactions. Pour elle, c'est "un drame dans le drame". "C'est unique dans l'histoire des accidents aériens. Il y a des corps, des fragments de corps et rien n'est fait. Personne ne semble s'en préoccuper. Il n'y a pas de vrai lieu de sépulture", analyse-t-elle.
Il a fallu attendre ces dernières années pour la création de deux lieux de recueillement. Ils se situent au Nid d'Aigle, point de départ de l'ascension du Mont-Blanc, et sur le bas du glacier des Bossons. Ce dernier est le fruit d'une initiative privée.
Pas du ressort de la commune
En 2017, des fragments de corps avaient déjà refait surface. Daniel Roche, un collectionneur de débris des crashs du Mont-Blanc, avait signalé des restes humains aux autorités. Ce dernier confiait à l'époque à l'AFP: "Je retrouve souvent des morceaux de scalp, de mâchoires. Mais là, c'est une main, fine et entière, parcheminée, et un morceau de jambe, la partie supérieure."
Il avait donc averti les autorités, et c'est le PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne) qui était venu récupérer cette main et ce morceau de jambe. Ces os sont stockés et répertoriés dans un ossuaire au cimetière de Chamonix.
Contactée par la RTS, la commune de Chamonix conteste ne rien faire. Le "PGMH récupère tous les restes humains. Aucun corps n'est laissé à l'abandon sur le glacier. Les victimes de la catastrophe ne sont hélas pas les seules. De nombreuses autres personnes, dont des chercheurs de trésors, disparaissent dans le secteur. Des identifications sur demande du procureur ont lieu pour les restes humains et certraines ont d'ailleurs été fructueuses".
De plus, la commune affirme récupérer régulièrement les grosses pièces qui ressortent. Une affirmation qui ne correspond pas au constat des équipes de la RTS. Des ossements et de gros objets, comme des roues et des trains d'aterrissage, sont bien visibles et ceci depuis des semaines selon les habitués du lieu.
"Ce ne sont pas des momies"
Pour Françoise Rey, la passivité des autorités est un scandale: "A Chamonix, les habitants et surtout les autorités semblent oublier que ce sont nos contemporains qui étaient dans ces avions. On parle de 1966 pour le dernier crash. Ce ne sont pas des momies. Ces victimes ont des maris, des épouses, des enfants encore en vie."
Contactée, l'ambassade d'Inde en France n'a pas encore répondu aux demandes de la RTS. Difficile d'imaginer que cette situation ne fasse pas réagir les familles de la centaine de victimes.
>> Lire aussi : Découverte archéologique exceptionnelle en Valais avec le couple de Saleina
François Ruchti/vajo