Yuri* a 43 ans. Il a deux enfants, 16 et 9 ans. Il était professeur de sport dans "sa vie d'avant". Habillé d'un gilet pare-balle au-dessus duquel est suspendue en bandoulière une AK-47, il a réussi à faire fuir sa famille à l'étranger. Cela fait six mois qu'il combat à Mykolaïv, l'une des villes les plus bombardées d'Ukraine.
L'ancien professeur a pris les armes dès les premiers jours de l'invasion russe. Sa jeunesse, il l'a vécue dans ce qui était l'Union soviétique. Jamais il n'aurait imaginé que la Russie attaquerait ainsi son pays. Il accepte de revenir sur ses tourments, sur ce que la plupart des combattants subissent – mais que très peu parviennent à exprimer.
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Frappes dévastatrices
Face à un centre humanitaire, devant lequel un cratère de cinq mètres de diamètre creuse le sol, Yuri explique: "Ces frappes sont devenues banales. L'armée russe détruit des bâtiments en pleine ville, parce que des soldats comme moi s'y abritent. Mais elle frappe aussi au hasard." A chaque fois ou presque, des maisons d'habitations sont détruites par des tirs.
"Ici, il y a eu une série de plusieurs explosions. Nos gars étaient en train de traverser un peu plus loin la rue." Alors que les Russes visaient certainement les soldats ukrainiens, c'est une maison familiale qui a été touchée à ce moment-même. "La famille s'était réfugiée dans la cave. Ils sont tous morts sur le coup."
Épuisement généralisé
"Je suis épuisé. Ça fait plus de six mois qu'on est là. Certains gars ne dorment plus du tout. Certains n'entendent même plus les bombes", relate-t-il. Lui non plus n'arrive plus à dormir. Il se réveille constamment, toutes les heures. "Dans notre bataillon, nous avons déjà perdu trois de nos compagnons. C'est dur."
Face au cratère géant devant le centre humanitaire, Yuri retient ses larmes. A côté de lui, quatre autres combattant l'écoutent sans l'interrompre. "Je n'ai plus aucune émotion. Lorsque je vois des cadavres, des maisons détruites, je n'éprouve que de la haine. Rien d'autre." Cela fait peur à Yuri. Au début de la guerre, durant les premiers jours, il a dû enterrer son père. "J'ai eu honte parce que je n'ai rien ressenti. J'étais comme impassible."
Ennemi intérieur
Quelques centaines de mètres plus loin, l'armée russe a ciblé le même jour un hôpital, un hôtel et une école. Le bâtiment est à terre. Très souvent d'ailleurs, les autorités ukrainiennes accusent l'armée russe d'avoir "visé un bâtiment scolaire".
Néanmoins, Yuri raconte que la réalité est plus complexe. "Nos gars, les soldats, étaient ici, à l'intérieur de l'école. Il fallait bien qu'on se mette quelque part", atteste le combattant, qui raconte que des habitants ont dévoilé leur position aux soldats russes. "Ils ont même donné les coordonnées GPS de l'école."
A Mykolaïv, c'est "l'enfer pour les militaires", explique Youri. Il raconte qu'il y a parmi les Ukrainiens des collaborateurs. Une partie de la population se sent plus proche de Moscou que de Kiev. "Ils ont déjà provoqué tellement de morts comme ça. Combien il y en aura encore! Parce qu'ils continuent!"
Citoyens en désaccord
A quelques mètres de là, des passants aux visages fermés refusent de s'exprimer sur la situation. "Ils disent que la ville est bombardée parce que nous, les militaires, y sommes. Lorsque ces salauds de Russes les menaçaient directement, ils nous vénéraient", raconte Yuri, écoeuré, même s'il dit pouvoir comprendre ce point de vue. "On nous dit d'aller en dehors de la ville mais ce serait du suicide!"
Plus de 6 mois après le début de la guerre, les tensions, l'épuisement, la peur sont présents, malgré le succès de la contre-offensive actuelle. A cette peur-ci, s'ajoute celle de voir l'Europe et les Etats-Unis se lasser. Yuri craint qu'on l'abandonne, lui et ses camarades, dans un conflit gelé.
*nom d'emprunt
Reportage: Maurine Mercier
Adaptation web: Raphaël Dubois