Dans une forêt près de la ville d'Izioum, certaines croix de fortune portent des noms, tant d'autres sont anonymes. L'odeur y est insoutenable. Plusieurs corps sont dans un état de putréfaction déjà avancé. On reconnaît également des vêtements de civils.
Pour l'heure, seules quelques dizaines de corps ont pu être exhumés. Il faudra au moins un mois pour tous les déterrer, selon les experts. Certains corps, les mains liées, portent des traces de torture. Une fosse commune renfermant 17 corps de soldats ukrainiens a également été retrouvée.
Des enquêteurs ukrainiens ont entamé leurs investigations le 16 septembre. Le Kremlin a nié de son côté la découverte de ces tombes, évoquant une "falsification ukrainienne".
80% d'Izioum a été détruite
Sur place, les militaires ukrainiens sont partout. Ils tentent de sécuriser le territoire et mènent des opérations de déminage. Et pour cause: l'armée russe a laissé des mines partout. La plupart des infrastructures sont détruites, les villages alentours ont aussi été ravagés par les combats.
Dans la ville d'Izioum, où 80% du centre-ville a été détruit, des soldats ukrainiens fouillent des bâtiments pour s'assurer que des soldats russes ne s'y cachent pas.
Après six mois d'occupation, les habitant osent enfin sortir de leur maison. Chez eux, ils n'ont ni gaz, ni électricité, ni eau et plus aucun réseau de communication. Certains font la file devant des camions humanitaires pour obtenir de la nourriture. Mais très peu d'entre eux osent s'exprimer devant les journalistes, par peur de représailles.
Bombardements aériens massifs
Car les Russes se trouvent à seulement 18 kilomètres de là et peuvent revenir aussi vite qu'ils sont partis. Contrairement à, par exemple, Kiev la capitale, Izioum a subi des bombardements aériens massifs. "Les avions volaient tellement bas qu'on pouvait voir le visage des pilotes. Ils ont utilisé des missiles (…) Ils ont bombardé tous les jours pendant deux mois", raconte un Ukrainien au micro de la RTS.
L'homme a dû faire évacuer ses enfants, juste de l'autre côté du pont, là où les bombardements étaient un peu moins violents. Il est resté trois mois sans avoir de leurs nouvelles, faute de connexion internet ou de réseau téléphonique pour communiquer.
Il ose évoquer également ce qui crispe ici tous les habitants. Il explique qu’avant la guerre, la moitié des gens de la ville au moins se sentaient plus proches de la Russie que de l’Ukraine. "Des habitants, la plupart russophones, qui ne souhaitaient évidemment pas la guerre, mais qui se méfiaient de Kiev et de ses aspirations européennes", témoigne-t-il.
Dans les territoires libérés, la peur de la délation
A Balakliia, deuxième ville libérée dans la région de Kharkiv, une femme accepte de témoigner. Sa maison a été partiellement détruite et à cause des bombardements, son mari a décompensé. "Les autorités ukrainiennes nous ont abandonnés lorsque l'armée russe est arrivée et maintenant ils reviennent en héros", témoigne-t-elle lundi au micro de la RTS.
Elle se sent humiliée de devoir chercher un sac de nourriture sur la place publique et se sent instrumentalisée par la communication de l'armée ukrainienne. "L'armée et les journalistes nous filment alors que jusqu'ici toute ma vie, j'ai travaillé et n'ai jamais eu à mendier."
Les gens ont surtout peur de la délation, voilà pourquoi ils n'osent pas répondre aux questions des journalistes sur place. Une femme glisse: "Mon mari a aidé les Russes et il est interrogé depuis une semaine par les services ukrainiens. Je n'oserai pas parler tant que je ne l'aurai pas retrouvé".
Crainte de passer pour des "pro-Russes"
Certains n'osent plus exprimer le moindre reproche envers les autorités ukrainiennes de peur de passer pour des "pro-Russes" et d'être ensuite dénoncés.
Tant d'autres ont peur de voir les Russes revenir et se voir à nouveau maltraiter. Un homme raconte avoir été interrogé par des soldats russes, puis emporté. "Ils m'ont accusé d'aider l'armée ukrainienne. Ils m’ont mis un sac sur la tête et m’ont frappé. Je crois que ce sont des tchétchènes, j’ai reconnu leur manière de s’exprimer", confie-t-il.
Ainsi, à la peur du retour de l'armée russe, s'ajoute la peur de la délation, dans un sens comme de l'autre. Et cette crainte, désormais, de se voir dénoncer par les siens.
Maurine Mercier et Hélène Krähenbühl