L'Italie va-t-elle basculer? L'alliance des droites part favorite des législatives qui se tiendront dimanche au terme d'une drôle de campagne menée en plein été, alors que les Italiens étaient à la plage. Les enjeux sont pourtant nombreux pour ce pays aux multiples contradictions, la première étant d'être une économie de premier plan à l'instabilité gouvernementale chronique.
Depuis la proclamation de la République en juin 1946, l'Italie a connu 67 gouvernements dirigés par 29 personnalités différentes. Le dernier en date, l'ancien gouverneur de la Banque centrale européenne Mario Draghi, n'était arrivé au pouvoir qu'en février 2021. Sa démission, en juillet, a mis fin au rêve de stabilité que caressaient de nombreux habitants de la péninsule à l'approche d'un hiver qui les inquiète.
>> Lire : De la Suède à l'Italie, comment l'extrême droite progresse en Europe
Ces changements multiples associés à l'impression que "rien" ne change expliquent en partie le désintérêt de l'électorat pour ces élections. Le taux de participation devrait descendre à un niveau historiquement bas, en deçà de 70%, selon les derniers sondages.
C'est cette probable abstention qui incite le politologue Marc Lazar à Sciences-Po Paris et à l'Université de Luiss à Rome à mettre en garde contre les affirmations trop hâtives quant aux résultats des urnes. Si la victoire des conservateurs, qui pourraient rallier 45 à 55% des sièges au Parlement", semble acquise, "les sondages ont été démentis par le passé", rappelle-t-il.
Inflation, pauvreté, chômage
Le contexte économique difficile pourrait pousser certains à se déplacer jusqu'à l'isoloir. "Si je ne vote pas, je ne peux plus rien dire", a par exemple confié Carolina à la RTS. Professeure d'espagnol, elle enchaîne les contrats courts depuis 2017.
Comme de nombreux jeunes en Italie, la jeune femme voit non sans inquiétude l'inflation venir s'ajouter ces derniers mois à la pauvreté et au chômage chroniques. En août, elle s'élevait à 8%, un record depuis 1985.
Or, comme ses voisins européens, la troisième économie de la zone euro affronte une baisse drastique du pouvoir d'achat. Elle est même le seul pays de l'Union européenne où les salaires indexés sur l'inflation ont chuté entre 1990 et 2020, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques. L'Italie figure également parmi les six pays de l'UE sans salaire minimum national, même si un "revenu de citoyenneté", un revenu minimum versé aux plus pauvres, a été mis en place en 2019.
Un revenu citoyen controversé
Près de 2,5 millions de personnes bénéficient de cette allocation, qui représente en moyenne 550 euros par mois, un dispositif qui a coûté à l'Etat 8,3 milliards d'euros cette année. La majorité des bénéficiaires - 1,7 million de personnes - vivent dans le sud du pays, où 10% des ménages vivent dans une pauvreté absolue et où forcément la flambée des prix des aliments et de l'énergie est déjà ressentie plus durement.
>> Lire : Face au prix de l'énergie, l'Italie prévoit 14 milliards de nouvelles aides
Très critiqué, ce "revenu de citoyenneté" a fait l'objet de nombreuses fraudes et certains employeurs se plaignent de ne pas réussir à trouver du personnel, accusant les jeunes de préférer empocher leur allocation plutôt que de travailler.
S'emparant du sujet, Fratelli d'Italia, la formation de Giorgia Meloni, a promis de l'abolir purement et simplement, jugeant que la pauvreté "est combattue en favorisant la croissance et l'emploi". Elle propose plutôt des aides pour ceux qui sont le plus à risque: les personnes handicapées, les personnes âgées et les familles en difficulté avec de jeunes enfants, et des baisses d'impôts.
Au centre gauche, à l'inverse, on promet de maintenir ce revenu citoyen tout en le réformant, et on propose en outre une dot de 10'000 euros pour accompagner l'entrée dans la vie active.
Un plan européen très attendu
Éphémère chef du gouvernement au début des années 2010, Enrico Letta se présente aussi en garant d'une Italie plus que jamais ancrée en Europe, un argument de poids après l'octroi par l'UE de près de 200 milliards d'euros d'aide à l'Italie pour relancer son économie après la pandémie.
En plus de moderniser le pays, cette manne - dont 40% ira au "Mezzogiorno" - devrait permettre de renforcer la cohésion nationale et de développer l'économie du sud du pays pour la rendre moins dépendante du tourisme et de l'agriculture. Le secteur des énergies renouvelables est ainsi souvent cité en exemple prometteur.
Dans le cas probable d'une victoire de la droite, qui se veut plus protectionniste, la tentation de renégocier certains points du plan de relance pourrait émerger et, avec elle, le risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Et ce, surtout si l'Italie devait adopter un ton différent de Bruxelles vis-à-vis des sanctions contre la Russie. A ce sujet, les regards seront tournés vers Matteo Salvini, qui n'a pas caché son opposition à leur égard alors que Giogia Meloni, elle, les soutient. Des divergences qui laissent augurer de vifs débats au sein d'une éventuelle majorité.
jgal avec afp
La percée de Giorgia Meloni
Pour Hervé Rayner, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne, spécialiste de l'Italie, interrogé dans La Matinale de vendredi, Il est "probable vu les derniers sondages publiés que la candidate d'extrême droite Giorgia Meloni (Fratelli d'Italia) devienne la première femme à la tête de l'Italie. Le rapport de force lui est favorable, y compris au sein de la coalition de droite".
Comment est-elle passée de 4% d'intention de vote en 2018 à presque 25% maintenant? "Il y a une grande mobilité des rapports de force électoraux en Italie depuis une dizaine d'années, mais les percées ne sont pas pérennes, la percée de Fratelli d'talia se fait au détriment de la Ligue de Matteo Salvini."
"Elle a fait preuve de prudence avec une stratégie de distinction vis-à-vis de Matteo Salvini puisque celui-ci s'est beaucoup compromis avec Moscou", a encore expliqué le spécialiste.