En se baladant sur le réseau social, il est possible de tomber sur un live - une vidéo en direct - dans lequel des enfants syriens, accompagnés d'adultes, quémandent des micro-donations. Il s'agit plus précisément de "cadeaux vidéo", une façon d'obtenir des diamants virtuels échangeables contre de l'argent.
Le phénomène s'explique par la situation d'extrême pauvreté dans laquelle se trouvent actuellement ces communautés syriennes. Ces dernières peuvent recevoir, via TikTok, une aide indirecte et à échelle internationale, bien qu'elles s'exposent potentiellement à la cybersurveillance du régime de Bachar El Assad. Même si les dons ne représentent que quelques centimes, c'est leur quantité qui fait la différence.
Taux de pauvreté toujours en hausse
Plusieurs de ces vidéos en direct proviennent des camps de réfugiés au nord de la Syrie. La région est toujours en proie aux conflits armés, notamment entre des groupes indépendants et le gouvernement. En conséquence, les conditions de vie sont extrêmement précaires. Selon l'ONU, 90% de la population syrienne vit dans la pauvreté. Ainsi, ces live TikTok pourraient constituer une compensation économique importante.
Les cadeaux TikTok, sous forme numérique de rose ou de chapeau par exemple, coûtent moins de 2 centimes de francs suisses par unité, soit environ 50 livres syriennes. Pour comparaison, en 2022, le panier alimentaire journalier d'une famille avec cinq enfants représente en moyenne 7000 livres syriennes, selon le programme alimentaire mondial. Cela équivaut environ à 3 francs suisses par jour.
Notons que TikTok prend, au passage, un pourcentage sur ces transactions.
Organisation de la mendicité?
Les demandes de dons de ces "tiktokers" , qui nécessitent une aide extra-nationale, sont organisées indépendamment des institutions humanitaires internationales présentes en Syrie, comme le HCR. Ahmad al-Rashid, facilitateur transculturel pour l'organisation internationale pour les migrations, explique que ce sont potentiellement des groupes, des parents ou des amis qui gèrent ces comptes.
"Même si ces individus ou groupes reçoivent ces dons sur leur compte TikTok, ils ont ensuite besoin d'accéder à une banque pour obtenir l'argent. Et en Syrie, nous n'avons pas de banques", poursuit Ahmad al-Rashid. Cela suppose qu'une aide extérieure existe pour créer les comptes bancaires sur lesquels l'argent sera versé.
Personnes sincères ou réseaux de mendicité? Les deux réalités peuvent cohabiter, estime-t-il. Bien que des groupes de mendicité existent, certaines personnes font vraisemblablement aussi ces vidéos de façon autonome, tout en soutenant et en étant soutenus par leur communauté. "Tout le monde se tient les coudes. Une personne s'essaie aux live, ça marche pour elle, et ça se répand comme une traînée de poudre dans certaines communautés", rajoute Ahmad al-Rashid.
La plupart des personnes dans des régions reculées ont accès à un téléphone portable. Et ce téléphone est la première chose que les réfugiés ou les migrants emportent avec eux.
La connexion comme besoin fondamental
Ces live TikTok en Syrie sont l'une des manifestations d'un phénomène plus global. Les camps de réfugiés se sont massivement numérisés et presque 90% de la planète est désormais connectée, explique Valérie Gorin, chercheuse spécialiste de l’humanitaire et responsable de la formation au Centre d'études humanitaires de Genève.
"La plupart des personnes dans des régions reculées ont accès à un téléphone portable. Et ce téléphone est la première chose que les réfugiés ou les migrants emportent avec eux", précise-t-elle. La chercheuse ajoute que cette connexion est devenue un besoin fondamental, car elle permet de garder le contact avec ses proches, de se guider sur les routes migratoires ou encore de s'informer sur les services et les aides humanitaires disponibles durant le voyage.
Nouvelle aide nébuleuse à taille numérique
A la différence des institutions humanitaires, dont la communication est gérée par la structure d'aide elle-même, TikTok permet un échange direct entre les personnes qui demandent des dons et les internautes. Exempt de filtres institutionnels, le récit transmis provoque un sentiment d'authenticité, même si rien ne permet d'en vérifier la véracité. Parallèlement, c'est un moyen pour ces communautés de reprendre un droit à la narration de leur propre histoire en utilisant l'interactivité des plateformes.
"Une levée de fonds réalisée par une ONG se fait de manière anonyme. On vient en aide aux personnes concernées sans qu'il n'y ait d'interactions humaines avec ces dernières. Pourtant, ces interactions sont un des motivateurs fondamentaux du don", rappelle Valérie Gorin. Via TikTok, ou d'autres applications similaires, il est désormais possible d'échanger directement, en plus de remerciements individualisés, des informations sur les fins auxquelles sont destinés les dons. Néanmoins, aucune assurance n'est donnée sur la fiabilité, la transparence ou le contexte de ces donations.
Bien que les organisations humanitaires aient toujours été plutôt avant-gardistes sur les technologies, ce n'est pas nécessairement le cas avec TikTok. Ce réseau serait associé au divertissement, aux jeunes sans pouvoir d’achat et sans intérêt pour la géopolitique, selon Valérie Gorin. En somme, dans un contexte global de hausse des inégalités, ces nouveaux outils digitaux et les réseaux sociaux renouvellent la façon de demander de l’argent.
Propos recueillis par Mathias Délétroz
Adaptation web par Raphaël Dubois