La colère ne faiblit toujours pas. A Moscou ou à Saint-Pétersbourg, tout comme dans une trentaine de villes russes, l'annonce de mobilisation des troupes a provoqué une vague de contestation. La répression est aussi massive. Des centaines de manifestants ont été arrêtés. Les Nations unies, qui appellent à les relâcher, évoquent plus de 2300 arrestations en moins d'une semaine. Plus globalement, selon un rapport du média russe de défense des droits humains OVD-Info, 16'537 arrestations liées à des actions contre la guerre ont été recensées jusqu'au 17 août.
"On voit bien que cette guerre est impopulaire dans une partie de la population", commente dans Géopolitis Pierre Haski. Avec cette mobilisation, l'éditorialiste considère que Vladimir Poutine "a introduit le virus de la division à l'intérieur de la Russie." "Là où Poutine peut recruter des troupes, c'est dans les zones où l'attrait de la paye va susciter des vocations ou auprès des gens qui n'ont pas les moyens de quitter le pays. Mais ça ne fait pas des troupes efficaces et déterminées", poursuit le journaliste, qui voit une menace grandissante pour le pays. "Ce cercle vicieux de la division et de la polarisation intérieure risque de peser très lourdement sur l'avenir, non seulement de la guerre, mais de Poutine lui-même, voire de la Russie."
Les Russes sont face à un séisme qui va transformer leur attitude face à la guerre.
"Les mobilisations de rues, c’est vraiment la pointe de l'iceberg", précise pour sa part Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à l'Université Paris Nanterre et spécialiste des sociétés post-soviétiques, interrogée dans l'émission. "Ce qu'on va voir se multiplier, c’est toutes les stratégies de fuite: les gens quittent le pays, les gens se cachent ou essaient d’obtenir des certificats médicaux pour ne pas être incorporés. Et en même temps, on constate une rafle relativement massive au sein de la population. Donc les Russes sont face à un séisme qui va transformer leur attitude face à la guerre."
Des milliers de Russes auraient déjà fui le pays, mais difficile pour l'instant d'obtenir des chiffres indiscutables sur l'ampleur du phénomène. Des afflux "importants" ont été signalés aux postes-frontières de la Géorgie, de la Mongolie, du Kazakhstan et de la Finlande.
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Critiques intérieures
Avant même l'annonce de mobilisation, les critiques contre Vladimir Poutine se faisaient de plus en plus entendre, surtout au sein de l'élite russe. A Moscou, des députés municipaux ont réclamé la démission de Vladimir Poutine. D'autres élus de Saint-Pétersbourg appellent même à sa destitution, l’accusant de haute trahison.
L'une des plus célèbres chanteuses en Russie, Alla Pougatcheva, a également pris position contre la guerre, en dénonçant sur son compte Instagram une opération aux "objectifs illusoires, qui font de notre pays un paria et pèsent sur la vie de nos citoyens." Une posture inédite pour une artiste aussi populaire en Russie.
"Ce qui est le plus inquiétant, ce sont les critiques de son aile droite", souligne Anna Colin Lebedev. "Poutine est fragilisé, mais il n’est peut-être pas fragilisé dans un sens qui le pousse à la pacification." Sur Telegram notamment, des blogueurs pro-guerre influents ont documenté les échecs de l’armée russe, déplorant que Vladimir Poutine ne décrète pas de mobilisation générale. Même l'un des plus fidèles soutiens de Moscou, le leader tchétchène Ramzan Kadyrov, a critiqué les choix tactiques du président.
La Chine prudente
Depuis le début de l'offensive le 24 février, la Chine avance prudemment, soucieuse de préserver à la fois ses relations avec la Russie et avec les Occidentaux. La Chine a refusé de condamner son allié, en s'abstenant lors du vote de l'Assemblée générale des Nations unies exigeant le retrait des troupes russes d’Ukraine. Mais le président chinois a toujours rappelé son attachement à la souveraineté territoriale, en appelant à une désescalade du conflit.
A Samarcande, lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) le 15 septembre, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont affiché ce front commun, en contrepoids à l'influence occidentale. Or, les revers de l'armée russe en Ukraine semble inquiéter Pékin. Au point que le président russe a déclaré "comprendre les questions et préoccupations" de la Chine.
"La Chine n'a soutenu Poutine que pour une raison, c'est qu'ils ont un intérêt commun à mettre en cause l'ordre mondial dominé par les Américains", relève Pierre Haski. "Mais la Chine, depuis le début, n'approuve pas fondamentalement cette guerre parce que l'intérêt chinois, économique, il est que le monde tourne. (...) Et ses deux principaux marchés sont les États-Unis et l'Europe."
Depuis le début de la guerre, la Chine et la Russie ont considérablement renforcé leur partenariat économique. Mais jusqu'où le président chinois soutiendra-t-il Vladimir Poutine ? En Ouzbékistan, l'Inde a aussi exprimé ses inquiétudes, en estimant que "l'heure n'était pas à la guerre." "Que des pays qui ne veulent pas de mal à la Russie, comme la Chine et l'Inde, commencent à émettre des petits signes de désaccord, c'est significatif", conclut Pierre Haski.
Mélanie Ohayon
Vladimir Poutine officialise l'annexion de quatre régions ukrainiennes
Le président russe a officialisé vendredi, lors d'un discours au Kremlin, l'annexion par la Russie des quatre régions de l'est de l'Ukraine, Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia.
Cette proclamation intervient trois jours après la clôture des "référendums" organisés dans ces régions - et largement dénoncés par la communauté internationale - qui se sont conclus par un "oui" à l'annexion à près de 99%.
Toute attaque contre les territoires ukrainiens annexés serait considérée comme une agression contre la Russie elle-même, a précisé le maître du Kremlin, ajoutant que Moscou poursuivrait les combats en vue de prendre la totalité de la région orientale du Donbass.
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