Gazoducs, pipelines, réseaux électriques et de télécommunication, hôpitaux, etc. Notre vie quotidienne dépend de multiples installations névralgiques. "Si vous voulez faire pression sur un Etat, vous allez identifier ses centres de gravité", note Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux au Centre de politique de sécurité de Genève.
"Si vous arrivez à éliminer ou détruire une infrastructure critique, cela aura des effets induits en cascade qui vont complètement bloquer le fonctionnement normal de l'Etat", prévient-il.
Un besoin de protection se fait donc ressentir. Dernier exemple en date, la Norvège, qui est devenue le principal exportateur de gaz pour l'UE depuis les sanctions contre la Russie, a déployé des militaires pour surveiller ses exploitations gazières et pétrolières.
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Jusqu'au fond des mers
Sous l'eau, on trouve des gazoducs, mais pas seulement. On pense aussi aux câbles sous-marins par lesquels transitent jusqu'à 99% des communications internationales.
A proximité des côtes, ils sont enterrés. Au large, ils sont simplement posés sur les fonds marins. D'où une certaine fragilité. Il y a déjà eu des ruptures accidentelles, causées par exemple par des ancres de navire.
Philippe Achilleas, professeur de droit à l'Université Paris-Saclay, spécialiste des activités aérospatiales et des télécommunications, relève que "plus de 400 câbles maillent la planète". En rompre un "peut avoir des conséquences locales, c'est-à-dire sur l'Etat directement connecté au câble sous-marin", indique-t-il.
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Toutefois, l'universitaire doute qu'il soit possible de provoquer une perturbation plus importante. "Il faudrait rompre un ensemble de câbles, ce qui n'est pas possible", avance-t-il. Du reste, "il y aura toujours les satellites pour prendre le relais", ajoute-t-il. Bien que ceux-ci "ne peuvent pas absorber toutes les communications des câbles", s'attaquer à un seul d'entre eux n'aura en fin de compte "que peu d'impact", estime l'expert.
Vieille stratégie
Malgré cet impact limité, il y a déjà eu dans le passé des cas de sabotage des lignes sous-marines, dont les premières ont été posées au 19ème siècle, pour les liaisons télégraphiques. L'Allemagne et l'Italie ont subi durant les deux guerres mondiales des "dégradations volontaires de leurs câbles", rappelle Philippe Achilleas.
"Plus récemment, c'est l'activité de la Russie qui inquiète la communauté internationale des câbles sous-marins", développe le professeur.
On accuse la Russie d'avoir des capacités d'espionnage et de rupture des câbles, sans que cela ait été clairement démontré.
Concepts de protection
Face à ces vulnérabilités, les gouvernements ne restent pas les bras croisés. Ils tentent évidemment de protéger au mieux ces infrastructures. "Chaque Etat établit des catalogues d'infrastructures critiques – la Suisse également", souligne Jean-Marc Rickli.
Une fois identifiées, différentes mesures sont mises en place pour les renforcer ou les multiplier, afin de rendre les systèmes redondants, explique le spécialiste de la sécurité. "S'ils sont attaqués, d'autres pourront prendre le relais." Mais les menaces évoluent rapidement, constate Jean-Marc Rickli.
Le spectre de vulnérabilité augmente de manière importante avec la digitalisation.
"Sécuriser à 100% ces infrastructures critiques est de plus en plus difficile, car il y a une augmentation dans la surface d'attaque, c'est-à-dire la possibilité d'entrer dans ces systèmes", développe-t-il. Il précise que cela implique une surveillance constante et une adaptation rapide aux nouvelles menaces.
Guerre des étoiles
L'espace est également devenu un champ de bataille à part entière. Les satellites en orbite, toujours plus nombreux, pourraient aussi être visés par des actes de sabotage.
"Certains Etats, dont la Chine et la Russie, ont procédé à des tests de missiles antisatellites. On peut donc aussi imaginer des attaques d'infrastructures spatiales", estime Philippe Achilleas, tout en pondérant le risque: "Si vous détruisez un satellite dans l'espace, vous allez générer un nuage de débris."
L'action risque de perturber vos propres satellites.
Effet boomerang
Les Etats en mesure de procéder à ces attaques n'ont d'ailleurs pas forcément intérêt à les exécuter. Un potentiel effet boomerang peut en effet affecter l'auteur du sabotage. Les Russes en ont fait les frais au début de la guerre en Ukraine, explique Jean-Marc Rickli. "Ils ont visé des relais de communications 3G et 4G ukrainiens", raconte-t-il. L'opération a d'abord été un succès: les liaisons ont été coupées.
Mais lorsqu'ils ont tenté par la suite d'utiliser ces équipements, cette réussite s'est retournée contre eux. "Ils n'ont pas pu utiliser leur système crypté. Ils se sont reposés sur des systèmes non-cryptés et leurs communications ont été interceptées", relève-t-il.
Impacts sur tous les acteurs
Cet exemple illustre le dilemme de la destruction d'infrastructures lors d'une guerre. Selon le chercheur sur la sécurité, "il y a un calcul à faire entre bloquer votre adversaire à court terme et les effets à long terme que cela peut avoir sur votre propre système de défense".
Les conséquences des dommages au gazoduc Nord Stream, quel qu'en soit l'auteur, se feront ainsi ressentir sur toutes les parties à des degrés variables.
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Adaptation web: ami