Nous joignons Leyla au milieu de la nuit. Avant minuit, il est très difficile de se connecter à internet. Ces coupures délibérées sont le versant numérique de la répression du régime, selon Amnesty International. Dans la rue, les policiers tirent à balles réelles et passent à tabac les manifestants, dénonce l’ONG.
"Nous avons peur, bien sûr", confie Leyla. "Mais nous avons encore plus peur pour l’avenir. Si on ne fait rien par peur, rien ne changera." La jeune femme a été traînée par terre par les forces de sécurité lors d’une manifestation. "Pour que les choses changent, il faut en payer le prix", souffle-t-elle.
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Le Kurdistan au cœur du mouvement
Comme dix millions d’Iraniens, Leyla est kurde. Mahsa Amini, 22 ans lors de sa mort aux mains de la police des mœurs, venait également du Kurdistan iranien. Cette minorité, réprimée depuis toujours par Téhéran, se retrouve au cœur du mouvement de protestation.
"Le régime ne s'attendait pas à ce que la détention fatale d'une ressortissante de province provoque une révolte nationale", analyse Ali Fathollah-Nejad, expert de l'Iran à l'Université de Beyrouth.
Mais la grogne dépasse largement les barrières ethniques. "On est tous unis", dit Leyla, "les Baloutches, les Turcs, les Kurdes, les Perses. Avant d’être kurdes ou perses, on est tous des êtres humains. On doit tous s’épauler."
Un slogan scandé aux quatre coins du pays, "Femme, vie, liberté", témoigne du fait que la protestation traverse les peuples d’Iran. A l’origine cri de ralliement des combattantes kurdes, il est repris en kurde ou en perse par les manifestants au-delà du Kurdistan.
Le régime acculé
Et la violence du régime cible tout particulièrement les Kurdes. Téhéran a imputé les manifestations à des "forces extérieures" et lancé mercredi des frappes transfrontalières de missiles et de drones qui ont fait 13 morts dans la région du Kurdistan irakien, accusant les groupes armés basés dans cette région d'alimenter les troubles.
L'Iran avait déjà connu le "mouvement vert" en 2009 après des élections contestées, puis plus récemment les manifestations de novembre 2019 consécutives à la hausse du prix de l'essence et à l'inflation généralisée. Mais les analystes estiment que la contestation actuelle pose un défi plus complexe encore au régime islamique de l'ayatollah Ali Khamenei, 83 ans.
"Ce sont les plus grosses manifestations depuis novembre 2019. Alors que les précédents mouvements nationaux étaient emmenés par les classes populaires et déclenchés par la dégradation des conditions socio-économiques, le déclenchement cette fois est socio-culturel et politique", estime Ali Fathollah-Nejad, spécialiste de l'Iran.
"La solidarité entre les jeunes et les plus âgés me donne de l’espoir", renchérit Leyla. "Tout le monde partage la même opinion. Notre message, c’est la liberté. On n’a plus le choix."
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Michael Maccabez avec agences
*prénom d'emprunt