C'est un anniversaire embarrassant, passé sous silence, tant il rappelle un passé que la formation, dirigée par intérim par Jordan Bardella, voudrait effacer. C'est pour ça, d'ailleurs, que son nom a été changé en 2018, passant de Front national (FN) à Rassemblement national (RN), à l'initiative de Marine Le Pen. Une façon de rompre avec son père, après l'avoir exclu du parti en 2015.
"J'ai été exclu du mouvement de Marine Le Pen, ce qui ne m'a jamais empêché de dormir", assure aujourd'hui Jean-Marie Le Pen, 94 ans. "Je n'ai pas abandonné, j'ai quitté mes fonctions à un âge qui, je crois, était raisonnable", ajoute-t-il dans un entretien au 19h30 de la RTS.
Beaucoup estiment cependant que la stratégie de "dédiabolisation" menée par Marine Le Pen à partir de 2011 ne peut passer que par la mise à l'écart de son père plusieurs fois condamné, notamment pour contestation de crime contre l'humanité et provocation à la haine.
Un héritage encombrant
Choisi en 1972 par les militants de l'Ordre nouveau pour mener le Front national, qui s'appelle tout au début Front national pour l'unité française, Jean-Marie Le Pen s'impose vite comme la figure dominante du parti, avec ses sorties tonitruantes et ses positions extrémistes, jusqu'à créer le choc en passant au 2e tour de l'élection présidentielle en 2002.
"Aujourd'hui, l'embarras des membres du Rassemblement national provient du fait que ce parti ne serait pas où il en est si Jean-Marie Le Pen ne l'avait pas transformé du groupuscule qu'il était à un parti qui attire déjà 15% de l'électorat au milieu des années 1980", explique le politologue Jean-Yves Camus au 19h30 de la RTS. Le reconnaître nécessiterait cependant aussi de se positionner sur son passif, sur ses multiples déclarations qui semblaient inacceptables à l'immense majorité.
Si j'étais un jeune militant, je serais fier de Le PenJean-Marie Le Pen, co-fondateur du Front national
Ce risque, le Rassemblement national ne veut à l'évidence pas le prendre alors que 89 députés issus de ses rangs font leur rentrée à l'Assemblée nationale cette semaine. "Le Rassemblement national a cinq ans pour prouver qu'il est capable de gouverner", rappelle Jean-Yves Camus.
Dans sa demeure parisienne, Jean-Marie Le Pen n'a rien raté des succès de l'extrême droite aux dernières élections présidentielles et législatives. "Cela ne me paraîtrait pas surprenant ni extraordinaire qu'un parti politique national arrive au pouvoir et occupe la présidence. Ce que je souhaite, c'est qu'il soit en mesure de le faire quand il sera encore temps de sauver le pays", souligne le nonagénaire.
Car s'il y a bien une chose dont le vieil homme aime se vanter, c'est d'avoir tout prédit. "Il ne faut jamais renier ses aïeux et, s'ils le font, ils ont tort de le faire", dénonce-t-il.
"Si on pouvait dire quelque chose aujourd'hui, on dirait 'Le Pen avait raison'. Ce qui se produit en Suède, se produit en Italie, et va se produire en France et dans toute l'Europe, c'est parce que des événements corroborent les analyses que j'ai exposées depuis trente, quarante, cinquante ans et qui étaient simples, aussi simples que 2+2 font quatre", sourit-il.
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Un nouveau visage
Le Rassemblement national ne saurait aujourd'hui se réduire à son héritage lepéniste. "Le leadership, à la fois de Marine Le Pen et de l'équipe dirigeante, a beaucoup changé dans son expression publique par rapport à ce que disait Jean-Marie Le Pen. Il n'est plus question de 'détail de l'histoire', il n'est plus question d'inégalités de races", observe le politologue Jean-Yves Camus.
Quand Jean-Marie Le Pen prônait une inversion des flux en renvoyant les étrangers chez eux, sa fille parle de "stopper la submersion migratoire'". Sur certains points, notamment sur l'islam, elle a même des positions moins extrêmes qu'un Eric Zemmour. Mais c'est surtout sur le plan économique que Marine Le Pen diverge le plus de son père. Alors qu'il était ultralibéral, inspiré par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux Etats-Unis, elle défend un protectionnisme à la Trump pour protéger les emplois et l'économie français.
C'est en faisant campagne sur le pouvoir d'achat que le Rassemblement national a conquis l'électorat ce printemps, s'offrant un résultat record dans une France où le front républicain s'étiole. Dans ce contexte favorable, le parti s'apprête à désigner son nouveau dirigeant. Et pour la première fois, il ne s'agira pas d'un Le Pen.
Juliette Galeazzi, avec Raphaël Grand (à Paris)