Après plusieurs semaines de contact, quelques personnes ont accepté de se confier à la RTS, via des notes vocales, mais à une seule condition: aucune question ne doit porter sur le président syrien Bachar al-Assad, un thème trop dangereux à aborder.
Un falafel à prix d'or
Père de famille, Omar*, la cinquantaine, vit à Damas. Au coeur de la capitale syrienne, le prix du pain a triplé. "Les gens achètent de toutes petites quantités de nourriture et font avec. La vie est devenue trop chère", raconte-t-il dans un message envoyé depuis son téléphone, le seul moyen de communiquer avec lui.
"Avant, un sandwich falafel ou une assiette de pois cassés étaient des plats pour les pauvres. Aujourd'hui, cela représente un coût important pour tout le monde. A cause de cela, tu peux te rendre compte que les gens sont mal nourris et qu'ils souffrent de malnutrition, clairement", détaille Omar.
En mars dernier, l'ONG Oxfam a réussi à interroger environ 300 personnes vivant dans les zones contrôlées par le régime. Parmi elles, 90% ont assuré ne manger que du pain et du riz, accompagnés parfois de légumes. La monnaie nationale, la livre syrienne, s'est effondrée, tandis que l'électricité ne fonctionne que quelques heures par jour.
"Les gens meurent de maladies simples"
En plus de cette guerre sans fin, la crise liée au Covid-19, la guerre en Ukraine, mais aussi le réchauffement climatique touchent la Syrie. A titre d'exemple, les récoltes de blé ont été divisées par trois à cause de la sécheresse l'an dernier.
Dans les villes côtières, considérées comme des fiefs du régime Assad, la situation est encore plus catastrophique, comme l'explique Sarah*, habitante de Lattaquié, quatrième plus grande ville de Syrie.
Nous voulons tous partir, pas parce que l'on déteste la Syrie, mais parce que nous voulons vivre avec un peu de dignité
"On pense que l'on vit comme des rois ici sur la côte. Mais on survit dans la plus grande misère. On veut tous partir, non pas parce que l'on déteste la Syrie, mais parce que nous voulons vivre avec un peu de dignité", témoigne cette mère de famille, qui dit ne pas être partie plus tôt car elle "pensait que la situation allait s'arranger".
Comme la nourriture, les soins médicaux sont devenus un luxe pour les Syriens. "Ils sont trop chers. Tu ne peux pas aller chez le médecin, parce qu'il te faut au moins un salaire pour une consultation et acheter des médicaments. Il y a des gens qui meurent de maladies simples, parce qu'ils ne peuvent pas se soigner", relève Sarah.
De nombreux Syriens tentent aujourd'hui de quitter le pays depuis les zones gérées par Bachar al-Assad, notamment en montant dans des bateaux pour Chypre. Tous veulent fuir le désespoir.
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Vivre avec 25 ou 30 dollars par mois
"Nos salaires sont misérables. Avec mon travail, je gagne entre 25 et 30 dollars seulement par mois. Cela me permet de vivre normalement 5 jours, voire maximum 10 jours si je n'achète quasiment rien", concède pour sa part Amira*, qui vit à Tartous, l'autre grande ville côtière de Syrie.
La jeune femme dit ne voir aucun horizon pour son avenir. "C'est le désespoir, rien ne va s'arranger dans notre vie", explique-t-elle dans un message vocal.
Comme tous les Syriens installés en zone du régime syrien, Amira vit avec la peur au ventre d'être arrêtée par les services de sécurité, pour avoir osé émettre un doute sur la gestion du pouvoir. Aujourd'hui, plus de 100'000 personnes ont disparu dans les prisons de Damas.
A défaut de pouvoir critiquer directement le régime de Bachar al-Assad, Sarah a appris à être plus subtile pour faire passer son message: "Je n'ai jamais poussé mes proches à prendre les armes, ni contre les Syriens, ni contre d'autres pays. Je sais que nous, en tant que civils, nous sommes les perdants. Ni moi, ni ma famille, ni les gens que j'aime n'ont voulu de cette guerre."
"La Syrie, c'est terminé"
Selon les derniers chiffres recensés, au moins 7 millions de Syriennes et de Syriens ont fui le pays depuis le déclenchement de la révolution, puis de la guerre. Partis en Turquie ou en Europe, ces réfugiés envoient chaque mois une partie de leur salaire pour permettre à leurs familles de manger et de se chauffer.
Omar, lui, a décidé de rester dans son pays. Rester, mais sans aucun espoir. "Plus rien ne ressemble à la vie d'avant en Syrie. Même les pavés sur lesquels on marche ne reconnaissent plus les gens qui les foulent. Ces personnes qui vivent dans l'angoisse au quotidien ont un pas plus lourd", image le quinquagénaire.
Ce constat sur la capitale lui fait dire que ce n'est plus la véritable ville de Damas. "Ce n'est plus la cité du jasmin. Je crois qu'elle a disparu. La Syrie, c'est terminé."
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Céline Martelet et Marcel Alin
Adaptation web: Jérémie Favre
* nom connu de la rédaction