Les fuites des gazoducs Nord Stream 1 et 2 dues à un sabotage présumé en mer Baltique ont relâché quelque 70'000 tonnes de méthane (lire encadré), puissant gaz à effet de serre, selon une estimation mercredi de chercheurs français à partir d'observations atmosphériques. L'armée danoise avait publié sur Twitter des photos et vidéos de trois bouillonnements à la surface de la mer Baltique. Ces "jacuzzis" géants mesurent de 200 mètres à 1 kilomètre de diamètre.
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"Ce sont des chiffres importants, équivalents à 2% des émissions françaises ou aux émissions d'une ville comme Paris sur un an, ce n'est pas une bonne nouvelle, mais pas une bombe climatique", a relevé Philippe Ciais, chercheur au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement.
Ces estimations sont bien moins élevées que les premières produites par des experts ou ONG dans les jours suivant les explosions sur les gazoducs le 26 septembre, qui se fondaient sur des estimations des quantités de gaz contenues dans les tuyaux. Plusieurs les évaluaient autour de 300'000 tonnes. Les chercheurs du CEA ont toutefois souligné que cette première étude devrait quoi qu'il en soit "être confirmée par d'autres modélisateurs".
Des fuites, pas des événements isolés
Ce n'est pas la première fois que des fuites causées par l'industrie des hydrocarbures ont lieu. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a souvent pointé les quantités énormes de méthane qui fuient chaque année des installations de production d'énergies fossiles à travers le monde.
Pour 2021, elle avait estimé que ces fuites mondiales équivalaient à la totalité de la consommation de gaz du secteur énergétique en Europe. Quant aux infrastructures gazières mondiales, souvent mal entretenues, elles perdraient à cause de fuites environ 10% des quantités transportées.
Début 2022, des chercheurs du CNRS, dont Thomas Lauvaux, associés à la société Kayrros, ont cartographié 1800 panaches de méthane à travers le globe et visibles sur des images satellites. "On se doute que ces fuites sont courantes et datent de plusieurs décennies. Mais formellement, on est remonté jusqu'en 2019, année des premiers satellites capables de voir ce phénomène", explique Thomas Lauvaux, jeudi dans l'émission de la RTS Tout un monde.
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Selon une étude du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, les émissions de méthane ont augmenté de près de 10% sur la dernière décennie et proviennent pour 22% de l'exploitation du pétrole et du gaz.
Les fuites se produisent majoritairement dans les "grands bassins gaziers" aux Etats-Unis, en Algérie, au Turkménistan, en Russie ou encore en Iran. "Chez tous les producteurs de gaz et de pétrole, on voit régulièrement des fuites énormes sortir de leurs installations", indique-t-il.
Manque de transparence
Ces rejets sont provoqués par des fuites accidentelles "de quelques jours à quelques semaines", par des fuites quasi continues dues à l'ancienneté des installations et par des opérations de maintenance, "qui représentent près de la moitié des détections". "Pour sécuriser la zone, on laisse les gazoducs à l'air libre ventiler le gaz dans l'atmosphère", décrit Thomas Lauvaux.
Jusqu'à présent, il y avait une "forme de minimisation" des fuites qui étaient mises sur le compte de "rares accidents". "On se rend compte qu'on est bien au-delà du simple accident", dit-il. Le chercheur dénonce un manque de transparence qui ne permet pas aux gouvernements d'agir. Il estime qu'il faudrait davantage de satellites et de moyens humains pour pouvoir suivre l'ensemble des fuites sur la planète.
vajo avec afp
Le méthane, fort pouvoir réchauffant à court terme
La gaz naturel est principalement composé de méthane, à l'effet de réchauffement 80 fois plus important que celui du CO2 sur un horizon de 10 à 20 ans. Il est considéré comme responsable de près du tiers du réchauffement de la planète déjà enregistré.
Toutefois, sa durée de vie dans l'atmosphère est relativement courte, une dizaine d'années, contre des décennies, voire des centaines d'années pour le CO2. Au contact de l'eau, une partie de ce méthane va s'oxyder et se transformer en CO2.
"Sur le long terme, on pourrait presque ignorer le méthane. Mais sur les objectifs à court terme, 2030, que l'Union européenne et l'ONU se sont fixés, le méthane a un rôle très important à jouer", estime Thomas Lauvaux, professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, spécialiste des sciences du climat.