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Un huitième paquet de sanctions contre la Russie, pour quel effet?

Quelle est la réelle efficacité des mesures contre la Russie? Interview de Matthieu Crozet
Quelle est la réelle efficacité des mesures contre la Russie? Interview de Matthieu Crozet / Forum / 7 min. / le 6 octobre 2022
L'UE a imposé jeudi un nouveau paquet de sanctions à la Russie et allongé la liste des personnes visées par des gels d'avoirs et des interdictions d'entrée. Interrogé dans Forum, l'économiste français Matthieu Crozet est revenu sur les effets concrets de ces mesures.

Le nouveau dispositif adopté constitue une "riposte à l'escalade de la Russie dans la guerre illégale qu'elle continue de livrer à l'Ukraine, qu'illustre notamment l'annexion de territoires ukrainiens à l'issue de simulacres de référendums (...)", précise la Commission européenne (lire le détail des sanctions dans l'encadré).

Ce huitième train de sanctions depuis le début de la guerre est-il réellement capable de freiner les opérations russes en Ukraine? "Tout dépend de l'objectif que l'on se donne. Les sanctions ne peuvent pas tout faire, ne peuvent pas régler des conflits ou changer un gouvernement", a concédé jeudi dans Forum l'économiste à l'Université de Paris-Saclay Matthieu Crozet.

"Un vrai effet" sur l'économie russe

Il rappelle que les sanctions sont des mesures mises en place pour entrer dans un conflit sans aller jusqu'à l'affrontement armé. "Les alternatives aux sanctions, c'est soit ne rien faire, soit faire la guerre! Et on a beaucoup d'exemples, en Afghanistan et ailleurs, que ce n'est pas très efficace non plus. Il ne faut pas trop en demander aux sanctions", estime l'économiste. Elles ont néanmoins montré "un vrai effet" sur les capacités de production d'armement du pays et sur l'économie russe en général, faisant plonger sa prévision de croissance pour 2022 à -4,5%, alors que +2 à 3% étaient envisagés en début d'année, analyse-t-il.

Les alternatives aux sanctions, c'est soit ne rien faire, soit faire la guerre! Et on a beaucoup d'exemples, en Afghanistan et ailleurs, que ça n'est pas très efficace non plus

Matthieu Crozet, économiste à l'Université de Paris-Saclay

Mais qui dit récession dit aussi effet sur la population locale, ce dont convient Matthieu Crozet. "Au bout d'un moment, si on veut des sanctions qui mordent vraiment, il faut bien toucher la population russe. On veut qu'il y ait des moyens de pression sur le gouvernement, et ça vient aussi de la population", relève-t-il.

L'augmentation graduelle des personnes placées sur liste noire par l'UE a elle aussi son utilité, explique l'économiste. "A court terme, le fait de toucher les gens proches du pouvoir change un peu le contrat social - à vous le pouvoir, à moi le confort matériel - qu'il y a entre le gouvernement et les élites économiques. Si cet équilibre-là n'est plus respecté, il peut y avoir des tensions. Et on le voit, il ne fait pas très bon être oligarque aujourd'hui en Russie: beaucoup ont des accidents un peu particuliers...", pointe Matthieu Crozet.

Si on veut des sanctions qui mordent vraiment, il faut bien toucher la population. On veut qu'il y ait des moyens de pression sur le gouvernement, et ça vient aussi d'elle

Matthieu Crozet

Affecter le "soft power" russe

A long terme, viser des individus permet aussi d'affecter le "soft power" russe en limitant les possibilités de voyager et de nouer des contacts des élites russes, ou encore en entravant les capacités et l'envie des multinationales à investir en Russie, à s'y établir, poursuit l'économiste.

Il envisage trois grands types de sanctions contre la Russie à l'avenir: des mesures qui vont chercher à corriger les dispositions existantes, à "boucher les trous dans la raquette" afin de limiter les capacités de l'industrie russe à alimenter l'arsenal de guerre, l'ajout à la liste noire d'oligarques "passés à travers" jusqu'ici et l'ajustement des sanctions touchant l'importation des hydrocarbures. Là, plutôt que de limiter les quantités importées directement, "on va essayer de plafonner les prix", précise-t-il.

Propos recueillis par Tania Sazpinar
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Les détails du huitième train de sanctions

Les nouvelles sanctions de l'Union européenne préparent la mise en oeuvre du plafonnement des prix du pétrole russe convenu par le G7 en juin dernier. Elles prévoient aussi une interdiction pour les ressortissants de l'UE d'occuper un poste au sein des organes de direction de certaines entreprises détenues par l'État russe et instaurent pour 7 milliards d'euros de nouvelles interdictions d'importation afin de réduire les revenus de la Russie.

Parmi les nouvelles sanctions économiques figurent notamment un embargo sur les importations de produits sidérurgiques, de machines et d'appareils, de matières plastiques, de véhicules, de textiles, de chaussures, de cuir, de céramique, de certains produits chimiques et de bijoux autres qu'en or. L'objectif est de réduire la capacité de la Russie à développer son secteur de la défense et de la sécurité. Une interdiction d'exporter des armes de petit calibre est également prévue.

Désormais 1300 noms sur la liste noire

En outre, trente personnes et sept entités ont été ajoutées à une liste noire qui comprend désormais plus de 1300 noms, frappés de gels d'avoirs et d'interdiction de séjour dans l'UE.

L'embargo de l'UE sur les importations de pétrole brut russe par voie maritime est pleinement maintenu, est-il précisé. "Le plafonnement des prix, une fois mis en oeuvre, permettra aux opérateurs européens d'assurer le transport de pétrole russe vers des pays tiers, à condition que le prix de ce dernier reste sous un plafond préétabli", indique la Commission, précisant que la mesure, en coordination avec les partenaires du G7, "prendrait effet après le 5 décembre 2022 pour le brut et le 5 février 2023 pour les produits pétroliers raffinés.

>> Lire aussi : Le G7 prépare un mécanisme limitant les revenus que Moscou tire de son pétrole