Les décisions de certaines communes de Suisse de ne pas diffuser sur leur espace public la Coupe du monde de football au Qatar montrent une sensibilité grandissante de la société aux implications morales liées à l'organisation de ces grands événements sportifs. Le monde du sport a longtemps été sourd aux enjeux politiques, le Comité International Olympique (CIO) lui-même refusant d'entrer en matière sur ce terrain.
>> Lire aussi : Le mondial au Qatar boycotté par plusieurs villes, Vevey interdit les fans zones
Des changements commencent toutefois à s'opérer. L'initiative "Play the Game" ("Jouer le jeu") oeuvre depuis 16 ans pour promouvoir la démocratie, la transparence et la liberté d'expression dans le sport. "Ces dix dernières années, tous les tabous sont tombés. Vous ne trouverez aucune conférence internationale sur le sport qui n'abordera pas un ou plusieurs aspects conflictuels", affirme Jens Sejer Andersen, directeur de "Play the Game", lundi dans l'émission Tout un monde.
"Malheureusement, la réalité n'a pas changé autant que nous le souhaitions. Nous avons mis du temps à voir à quel point les régimes autoritaires ont créé et mis en place une stratégie pour s'emparer du sport international. Ce sont des régimes qui ont accès à des moyens financiers énormes, impossibles à investir dans un pays démocratique, car les contribuables ne seraient pas d'accord et poseraient des questions", poursuit-il.
Une stratégie délibérée
Ces pays se sont assurés d'avoir l'influence nécessaire dans les grandes organisations sportives, notamment en y occupant des postes stratégiques, explique Jens Sejer Andersen. Ils ont également offert des avantages aux événements sportifs et aux clubs.
"Si les pays démocratiques ne décident pas très rapidement quel genre de sport international ils veulent voir se développer dans le futur, nous laissons le champ libre aux autocrates", estime ce spécialiste du sport global.
Pour l'initiative "Play the Game", la solution doit provenir des fédérations sportives. Il est crucial d'améliorer la transparence et le fonctionnement démocratique. Jens Sejer Andersen appelle aussi l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, les Etats-Unis et les pays démocratiques à faire leur part.
"Nous avons des leviers et nous devons les utiliser. Les pays européens peuvent par exemple décider de ne plus financer les organisations sportives qui ne remplissent pas certains standards de gouvernance ou ne plus soutenir les fédérations qui ne mettent pas en place des mécanismes de contrôle crédibles", avance-t-il.
Création d'une agence anticorruption
Le 4 octobre dernier, une agence mondiale anticorruption active dans le domaine du sport a été lancée à Bruxelles. L'eurodéputée écologiste allemande Viola von Cramon, à l'origine du projet, a mandaté une journaliste sportive d'investigation pour dresser un bilan de la situation actuelle.
"Le constat est sans appel: pour un marché mondial du sport évalué à plus de 350 milliards de francs en 2021, la tentation est grande pour chaque fédération de profiter d'un système où personne n'a véritablement à rendre des comptes au quotidien", explique Pierre Benazet, correspondant de la RTS à Bruxelles.
L'estimation basse des profits du crime organisé pour les paris liés au football est de 120 millions de francs par an, souligne-t-il, en rappelant que cela ne concerne pas uniquement les matches truqués, mais également les détournements de fonds et les abus à l'encontre des athlètes eux-mêmes.
La Suisse accepte depuis des années les comportements parfaitement inacceptables de nombreuses organisations sportives internationales
Les membres du collectif "Play the Game" proposent de créer une agence internationale, sur le modèle de l'Agence mondiale antidopage (AMA), qui travaillerait sur toutes les formes de corruption dans le sport et qui pourrait imposer des sanctions disciplinaires. Pour Viola von Cramon, l'organisation ne doit pas être installée en Suisse mais dans un Etat européen disposant d'un système judiciaire robuste et de traditions de respect de l'Etat de droit.
La Suisse complice?
La Suisse est en première ligne pour encourager la prise de mesures démocratiques et de transparence. Des dizaines de fédérations sportives internationales ont leur siège sur le territoire helvétique, à l'instar de la FIFA et du CIO, et contribue "de manière substantielle" à la dynamique économique du pays.
Or, "la Suisse accepte depuis des années les comportements parfaitement inacceptables de nombreuses organisations sportives internationales", note Jens Sejer Andersen. Le spécialiste pointe du doigt la lenteur de plusieurs enquêtes pénales sur des cas de corruption dans le sport, notamment celle autour de l'attribution au Qatar des Mondiaux de football il y a sept ans.
Pour le directeur de "Play the Game", ces investigations sont justement l'un des rares leviers qui peut effrayer les responsables corrompus du monde sportif international. "Les autorités suisses ne jouent pas le rôle qu'elles pourraient", martèle Jens Sejer Andersen, qui estime que l'attitude laxiste de la Suisse en matière de corruption sportive est la raison pour laquelle les fédérations viennent s'y installer.
Sujet radio: Vincent Stöcklin
Adaptation web: Isabel Ares