"C’est un beau progrès. Nous sommes passés de 23 femmes au niveau des circonscriptions à 29. Mais nous n'y sommes pas encore car la Constitution prévoit qu’au moins 1/3 des sièges soient tenus par des femmes et nous sommes à 24,7% si l'on prend en compte les deux chambres du Parlement", nuance Mercy Mwangi, de l’association Kewopa qui défend les droits des femmes parlementaires.
Bien que le principe d'un tiers de femmes soit garanti par la Constitution kenyane depuis 2010, il n'a jusqu'ici jamais été traduit dans les textes législatifs. De plus, le président élu a trahi l’une de ses promesses de campagne: intégrer 50% de femmes dans son gouvernement. Elles ne sont finalement que 8 sur 24, mais Mercy Mwangi reste confiante et espère que cette avancée "va inspirer d’autres femmes à travers le pays".
"J'ai eu peur pour ma vie"
A une heure de route de Nairobi, l’association Kewopa a réuni des dizaines de femmes, toutes candidates heureuses et malheureuses des élections de 2022. La réunion de partage d’expériences a pour but de mieux soutenir les femmes qui s'engagent en politique car se lancer en politique au Kenya en tant que femme exige une force de caractère à toute épreuve.
"Nous nous sommes rendu compte que ces femmes avaient besoin de soutien psychologique. Elles ont besoin d’échanger leurs points de vue et de parler des difficultés qu’elles ont rencontrées pendant la campagne. C’est l’occasion pour elles de souffler", explique Simon Gichuru, l’un des cadres de l’association.
"Je me présentais face à sept hommes et on s’est même battu physiquement. Je ne m’attendais pas à ça. En tant que femme, j’ai dû investir beaucoup dans ma sécurité et j’ai eu peur pour ma vie", témoigne Juliah Chege, qui s’est présentée pour la première fois à l’élection locale au centre du pays.
Sexualisation des femmes en politique
Le manque de moyens financiers et l’insécurité font partie des obstacles majeurs rencontrés par les femmes politiques au Kenya. Judith Makera, elle aussi candidate, a été la cible de violences en ligne sur les réseaux sociaux. "Mes opposants recherchaient n’importe quel élément de ma vie privée pour m’attaquer en tant que femme et particulièrement sur ma sexualité. Ils nous présentent comme des prostituées, répandent des mensonges, créent des montages Photoshop. Cela m’a blessée", raconte-t-elle.
"J’avais grimpé sur un camion et des hommes ont soulevé ma robe. Ils voulaient retirer mes vêtements pour m’humilier en public. Mais heureusement, je portais un pantalon sous ma robe à chaque meeting. Ce soir-là je suis rentrée en pleurs et je me suis demandée ce que je faisais là", témoigne Juliah Chege.
La sexualisation des femmes en politique est une pratique courante au Kenya. En 2017, Esther Passaris, une femme politique de premier plan qui se présentait au poste de gouverneur de Nairobi, en a fait les frais en direct à la télévision lors d'un débat face à son opposant principal. Son opposant l'avait accusée de n'avoir "aucune intégrité" et avait déclaré: "vous êtes si belle que tout le monde veut vous violer". L'humiliation en direct n'a eu aucune conséquence pour l'homme politique.
"Presque toutes les femmes politiques disent avoir été traitées de prostituées. Parfois, on les accuse d’avoir couché avec le leader du parti. C’est ainsi que nous avons été élevés dans une société patriarcale où les femmes sont considérées comme des femmes de ménage et non comme des leaders potentiels. On progresse petit à petit mais le chemin est encore long", précise Mercy Mwangi.
Propos recueillis par Charlotte Simonart
Adaptation web: Andreia Portinha Saraiva