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Pascal Bruckner: "Nous sommes plus forts que nous le pensons et nos ennemis plus faibles qu'ils le croient"

Invité de La Matinale de la RTS, l'écrivain et philosophe Pascal Bruckner a mis en garde contre la tendance croissante, dans les sociétés occidentales, à fuir le monde extérieur pour se réfugier dans le cocon confortable et rassurant du domicile. Il salue le sursaut de la "vieille Europe" face à la Russie, qui montre qu'elle a "encore des ressources, de l'énergie".

Lecteur de Max Frisch, Pascal Bruckner a fait sienne la célèbre citation de l'écrivain helvète "Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles" dans son nouvel essai "Le sacre des pantoufles", paru fin septembre dernier. Il y décrit la femme et l'homme contemporains comme devenus des peureux recroquevillés sur leur canapé, connectés au monde extérieur par le seul truchement de dispositifs divers.

Pour l'écrivain, la combinaison de deux éléments a fait de nous les pétochards qu'il décrit dans son ouvrage. Au premier chef, l'enchaînement d'événements catastrophiques depuis le début du siècle: réchauffement climatique, terrorisme, pandémie (lire encadré) et maintenant guerre en Ukraine. Autant d'événements "qui poussent les gens à se réfugier dans le cocon du foyer", a-t-il analysé jeudi au micro de La Matinale.

La peur de l'extérieur

Le second coupable? La transformation des logements, aujourd'hui beaucoup plus confortables qu'il y a un siècle ou deux et connectés au monde extérieur. "Avec les écrans, nous recevons le monde à la maison. Nous n'avons plus besoin d'aller dans le monde, puisque le monde est là. Cette conjonction de la peur de l'extérieur et de l'irruption de l'univers dans nos maisons fait que notre relation au dehors est devenue beaucoup plus problématique", constate Pascal Bruckner.

"Les démocraties sont tellement attachées à leur confort qu'elles sont prêtes, peut-être, à y sacrifier leur liberté. Et si le confort prend le dessus sur les droits fondamentaux, nous serons alors un peuple d'esclaves béats et baignant dans le divertissement", s'effraie même l'essayiste français.

Si le confort prend le dessus sur les droits fondamentaux, nous serons alors un peuple d'esclaves béats et baignant dans le divertissement

Pascal Bruckner, écrivain et philosophe français

Fatalité réversible

Les événements récents montrent heureusement que cette fatalité est réversible, poursuit Pascal Bruckner en prenant comme exemple la déconvenue subie jusqu'ici par la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine.

"Poutine était persuadé que, au lancement de la guerre, les démocraties allaient, après quelques protestations, s'incliner devant le despote moscovite. Or, ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Les Ukrainiens d'abord ont résisté très vaillamment, mais surtout, l'Europe s'est réunie, a condamné l'agression, a pris un certain nombre de sanctions; l'Amérique également", remarque-t-il.

Un Occident qui n'est pas en bout de course

L'invasion russe a été l'occasion d'assister à un phénomène qu'il juge très intéressant et porteur d'espoir. "C'est la résistance ukrainienne qui est en train de réveiller l'Europe", résume l'écrivain et philosophe. Il salue notamment le fait que cet exemple donne tort à la Russie, à la Chine ou encore aux islamistes, "qui nous voient comme une civilisation en décadence", une civilisation "de débauche, de droits accordés aux milieux LGBT, de fin du monde".

"Il faut prouver à ces régimes autoritaires et théocratiques qu'ils se trompent et qu'une nation démocratique peut parfaitement tenir debout en accordant un certain nombre de droits à ses minorités. Nous ne sommes pas au moment de la chute de l'Empire romain. La vieille Europe a encore des ressources, a encore de l'énergie. Nous sommes beaucoup plus forts que nous ne le pensons et nos ennemis sont beaucoup plus faibles qu'ils ne le croient", conclut Pascal Bruckner.

Il faut prouver à ces régimes autoritaires et théocratiques qu'ils se trompent et qu'une nation démocratique peut parfaitement tenir debout en accordant des droits à ses minorités

Pascal Bruckner

Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Le charme discret du confinement choisi

Si la tendance au renfermement dans le confort rassurant du domicile devait durer, se généraliser, "elle nous priverait d'un certain nombre de plaisirs fondamentaux, dont celui d'explorer le monde et de nous frotter à nos contemporains", avertit Pascal Bruckner.

"Le confinement a été un révélateur d'une mentalité qui existait avant lui. Il a prouvé que rester chez soi n'était pas une expérience si difficile", observe-t-il, s'appuyant sur le fait qu'une partie des Français ont dit regretter l'expérience du confinement et se montrent intéressés par la formule d'un "confinement choisi".

Maître chez soi

A la maison, "on est maître chez soi. Alors que lorsque nous sortons dans la rue, nous ne sommes plus maîtres des événements. Nous risquons le pire... mais aussi le meilleur: découvrir la beauté du monde et l'altérité de nos contemporains", plaide l'écrivain.

La chaude moiteur de l'haleine peut désormais tuer! Humer l'autre était un vertige, cela devient un verdict

Pascal Bruckner

La tentation du rester chez soi a aussi rendu plus difficiles les rencontres et les relations sexuelles, note Pascal Bruckner. "La chaude moiteur de l'haleine peut désormais tuer! Humer l'autre était un vertige, cela devient un verdict", écrit-il ainsi dans son nouveau livre. "Il y avait déjà le sida. Maintenant, avec le Covid, la peur de tomber malade pour simplement un souffle, une proximité, fait que les gens hésitent à se lancer dans l'aventure" d'une rencontre, d'une relation sexuelle, regrette-t-il.