Depuis le début des manifestations en Iran, environ 215 protestaires ont été tués dans 19 provinces, rapporte l'ONG Iran Human Rights (IHR). A elle seule, la province du Sistan-Baloutchistan, au sud-est de l'Iran, comptabilise presque la moitié de ces décès.
Le vendredi 30 septembre, 93 personnes ont trouvé la mort dans une fusillade à Zahedan, après des manifestations locales. En l'espace d'une journée, la province du sud-est iranien est devenue la zone de répression la plus violente du pays. Le nombre de victimes à Zahedan est environ trois fois supérieur à celui de la deuxième province la plus réprimée, Mazandaran, qui comptabilise 28 décès, selon l'IHR.
Les manifestations qui ont suivi le décès de Masha Amini, après avoir été arrêtée par la police des moeurs, ont marqué par leur dimension féministe – le droit des femmes de se vêtir librement étant ouvertement revendiqué. Mais la jeune défunte était aussi issue de la minorité sunnite du pays, fortement représentée dans la région du Sistan-Baloutchistan.
Sentiments d’abandon
Cette province du sud de l’Iran connaît des tensions avec l'Etat depuis de nombreuses années. "Les Baloutches sont une communauté sunnite minoritaire en Iran, mais représentent 80% des habitants de Zahedan", explique Hasni Abidi, politologue et chercheur spécialiste du monde arabe.
"Zahedan illustre les différences de classes sociales entre les sunnites et les chiites. Une minorité embourgeoisée chiite mène une vie aisée face à une majorité sunnite Baloutche, cantonnée dans des quartiers périphériques où le chômage dépasse la moyenne nationale", précise le spécialiste, qui explique que la province du Sistan-Baloutchistan est une région pauvre, où l'agriculture est peu développée et le passage de drogue à la frontière pakistanaise fréquent.
"Cette situation nourrit un sentiment d’abandon délibéré et de marginalisation par le pouvoir central", estime Hasni Abidi. Une discrimination qui se confirme aussi au regard des condamnations à la peine de mort en Iran. En 2021, 21% d’entre elles concernaient des Baloutches, soient 67 sur 333 condamnations à la peine de mort, indique l'IHR. Depuis, le rythme des exécutions de Baloutches s’est encore accéléré. L'ONG estime qu’il y en a eu presque autant durant les six premiers mois de 2022 que durant toute l’année précédente.
La solidarité entre minorités est un élément central dans la lutte contre le pouvoir étatique.
Une lutte qui s'inscrit dans les manifestations nationales
Les tensions qui traversent le Sistan-Baloutchistan concernent toutefois l’ensemble du pays. "La solidarité entre minorités est un élément central dans la lutte contre le pouvoir étatique", rappelle le politologue Hasni Abidi. Ainsi, les sunnites participent aux protestations nationales, qui prennent peu à peu la forme d'une lutte de classe contre le pouvoir iranien.
Même si les revendications sur la liberté de se vêtir ont été particulièrement mises en avant, on devine une volonté plus globale d'émancipation, précise Hasni Abidi. "Le voile a été imposé par le régime comme un indicateur de loyauté et d’obéissance à son égard; c'est une déviation de sa lecture religieuse. En ôtant le voile et en le brûlant, les Iraniennes veulent s’affranchir de la tutelle du pouvoir des érudits." Selon lui, c'est l'expression d'un refus de la primauté du religieux sur le politique.
En somme, les manifestations nationales permettent aux minorités de faire valoir leurs valeurs et besoins. Les Baloutches en sont un exemple. "Les échecs économiques et politiques, ainsi que l’isolement international, renforcent la volonté du peuple d’en finir avec le régime", conclut Hasni Abidi.
Raphaël Dubois
Une méfiance indicative
La société de sondage Iran Poll, subdivision de l'institut VoxNations, spécialisé sur la recherche scientifique d'opinion en Iran, Irak et Afghanistan, a publié cette année les résultats d’un sondage sur l'opinion publique vis-à-vis de la guerre en Ukraine et de l'accès aux ressources nucléaires en Iran. Les réponses aux deux premières questions de recherche donnent une indication sur la méfiance des Iraniens face au pouvoir politique du pays.
Entre mai 2015 et juillet 2022, l'opinion des sondés sur l'état économique du pays tend considérablement à déprécier la situation. Autrement dit, la majorité trouve désormais que l'économie iranienne se porte particulièrement mal, et que cela devrait empirer.
Ensuite, lorsqu'on leur demande si la situation économique s'aggrave à cause des sanctions et pressions étrangères ou en raison d'une mauvaise gestion de l'économie nationale et de problèmes de corruption, la majorité des sondés penchent pour le second choix.
Même s'il s'agit d'un indicateur qui n'est pas directement lié aux révoltes actuelles, les données qui en sont sorties donnent un aperçu des positionnements défavorables des citoyens iraniens quant à la politique de leurs autorités.