Camille Grand: "Rien n'indique dans la posture russe actuelle qu'une attaque nucléaire soit imminente"
Poussée des forces ukrainiennes sur le front sud, bombardements fréquents de la base arrière russe de Belgorod, explosion sur le pont de Crimée. Ces dernières semaines ont vu des forces russes essuyer de nombreux revers qui ont poussé Moscou à frapper à nouveau de manière massive de nombreuses localités, y compris Kiev, en signe de représailles.
Pour Camille Grand, nous assistons là à "un moment pivot de cette guerre", car l'armée ukrainienne a réussi "à reprendre l'initiative" sur le champ de bataille, ce qui a poussé la Russie "à choisir une forme d'escalade, avec la reprise des bombardements."
Pas de menace nucléaire imminente
Pour autant, le secrétaire général adjoint de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord ne voit pas à l'heure actuelle ce conflit changer prochainement vers une confrontation nucléaire.
"Rien n'indique dans la posture russe actuelle qu'une attaque nucléaire soit imminente. En revanche, on doit être évidemment extrêmement vigilants quand on entend un certain nombre de hauts responsables russes tenir une rhétorique nucléaire vraiment irresponsable. Une rhétorique qui consiste d'ailleurs à agiter cette menace, sans doute davantage pour faire peur à nos opinions publiques que pour préparer une attaque (...) Nous devons donc continuer à envoyer les signaux appropriés pour rappeler à Vladimir Poutine qu'une guerre nucléaire ne peut pas être gagnée et ne doit pas être menée", explique-t-il.
La Russie s'expose à des conséquences en cas d'attaques nucléaires, quel que soit le scénario
Et si une attaque nucléaire devait toutefois avoir lieu en Ukraine, Camille Grand estime qu'elle ne resterait bien évidemment pas sans réponse, mais préfère ne pas donner de précisions. "Dans ce domaine, l'ambiguïté est la mère de toutes les vertus. Mais comme l'a rappelé le Secrétaire général de l'Otan, la Russie s'expose à des conséquences en cas d'attaques nucléaires, quel que soit le scénario. Il s'agit de signaler à la Russie que ce serait franchir une étape gravissime que de briser ce tabou nucléaire en place depuis plus de 75 ans", détaille-t-il.
"Pas un seul centimètre carré de l'Alliance ne doit être menacé"
Depuis le début de la guerre, et plus encore depuis que la Russie subit des percées ukrainiennes, la rhétorique du Kremlin est de pointer une assistance "démesurée" de l'Otan à l'Ukraine, qui la rendrait de facto cobelligérante de ce conflit.
Camille Grand réfute de manière catégorique ces accusations. Les diverses formes d'assistance des pays de l'Alliance envers l'Ukraine relèvent de l'article 51 de la Charte des Nations Unies, juge-t-il. "C'est à dire le fait qu'un pays a été agressé, en violation de toutes les règles internationales, et que d'autres pays lui apportent une assistance dans différents domaines", précise-t-il encore.
Nous ne sommes pas dans un cas où l'Otan est partie au conflit, quoi que veuille dire Vladimir Poutine à ce sujet
"Cela ne signifie pas être cobelligérant que d'apporter ce type d'assistance; il y a eu plusieurs précédents dans l'histoire, par exemple quand l'Union soviétique aidait abondamment le Nord-Vietnam dans la guerre qui l'opposait aux Etats-Unis (...) Nous ne sommes donc pas dans un cas où l'Otan est partie au conflit, quoi que veuille dire Vladimir Poutine à ce sujet, qui parfois aimerait expliquer à sa population qu'il s'agit d'une guerre contre l'Otan."
Pas de guerre contre l'Otan donc, car d'après son secrétaire général adjoint, la dissuasion de l'Alliance fonctionne. "Depuis le 24 février, aucune attaque, aucune incursion n'ont eu lieu dans l'espace aérien, maritime ou sur le territoire de l'Alliance atlantique, y compris dans les zones à proximité directe de l'Ukraine. Il a d'ailleurs été clairement signalé à la Russie à plusieurs reprises que pas un seul centimètre carré du territoire de l'Alliance ne devait être attaqué ou menacé. Je crois que jusqu'ici cela a bien fonctionné pour éviter une escalade à l'échelle du continent européen", conclut-il.
Propos recueillis par Jennifer Covo
Adaptation web: Tristan Hertig