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De rares images venues d'Iran racontent la répression de l'intérieur

Iran: un couple de manifestants se filme dans son combat
Iran: un couple de manifestants se filme dans son combat / Mise au point / 14 min. / le 16 octobre 2022
De nouvelles manifestations massives se sont tenues ce week-end en Iran dans le cadre du mouvement de contestation contre le régime, qui persiste malgré la répression féroce. Dans ce contexte, l'émission Mise au Point a pu recueillir le témoignage rare d'un couple militant.

Le mouvement de protestation, porté principalement par les femmes et les jeunes, a commencé il y a tout juste un mois, quand la jeune kurde Massa Amini mourait trois jours après avoir été arrêtée par la police des moeurs, accusée de ne pas porter correctement le voile islamique. Il s'est désormais transformé en une contestation générale contre le régime conservateur et s'est structuré derrière le slogan "Les mollahs doivent déguerpir".

Mais si la contestation bénéficie d'un large soutien de la part de la population dans le pays, elle n'en demeure pas moins extrêmement risquée. Des milliers de personnes ont déjà été arrêtées et plus de 200, selon les estimations, ont été tuées, dont de très jeunes manifestantes ou manifestants. Comme Nika, 16 ans, interpellée le 20 septembre et retrouvée par ses parents le 3 octobre dans une morgue. Ou encore Sarine, 15 ans, tuée le 23 septembre à Karaj, à l’ouest de Téhéran.

C'est dans ce contexte que l'émission Mise au Point de la RTS a pu recueillir le témoignage de deux personnes, Asal (prénom d'emprunt), une médecin de 28 ans, et son mari ingénieur, qui se sont filmés dans leur combat durant une semaine, malgré les risques encourus. Tant bien que mal, le couple témoigne de sa lutte, à visages cachés pour ne pas être arrêtés à leur tour.

"La raison pour laquelle nous avons accepté de faire ces vidéos, c'est parce qu'en Iran, aucun journaliste étranger n'a le droit de travailler. Et les journalistes iraniens sont tous au service du régime", explique Asal.

Un courage de chaque instant

Une tâche difficile, car la surveillance et les menaces sont partout. Caméras de surveillance, policiers, indicateurs et espions du régime: la République islamique, au pouvoir depuis 43 ans, veille consciencieusement à ce qu'aucune information ne filtre hors du pays. "Nous n'avons malheureusement pas pu filmer tout ce qu'on aurait voulu. Nous devons rester très prudents", poursuit la jeune Iranienne.

Asal fait partie des plus ferventes militantes, de celles qui résistent désormais au quotidien. Les jours où il n'y a pas de manifestations, elle sort se promener sans porter le voile, dans un acte de désobéissance civile. Un acte de résistance qu'elle ose même en plein supermarché, sous le regard médusé des autres clients.

Et leur lutte ne faiblit pas, portée par une grande colère enfouie depuis longtemps dans la société. "Tout le monde savait que cette colère cachée avait le potentiel d’exploser", explique encore Asal. "Ce qui se passe maintenant, ce n’est pas juste une protestation, c’est le début d’une révolution. Une révolution pour renverser la dictature religieuse!"

Reportage TV: Beatrice Guelpa
Texte web: Pierrik Jordan

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Des Suissesses se coupent les cheveux par solidarité

En solidarité avec la lutte des femmes iraniennes, de nombreuses personnalités suisses ont participé à une vidéo les montrant se couper une mèche de cheveux. Parmi elles, on retrouve notamment l'ancienne présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey, des femmes politiques (Céline Vara, Sandrine Salerno), ainsi que des artistes (Licia Cherry, Sonia Grimm, Brigitte Rosset)

Des Suissesses se coupent une mèche de cheveux en solidarité avec les femmes iraniennes
Des Suissesses se coupent une mèche de cheveux en solidarité avec les femmes iraniennes / L'actu en vidéo / 2 min. / le 19 octobre 2022

Soutien aussi depuis la Suisse

Le soutien à la contestation vient aussi de l'extérieur du pays. La répression brutale fait réagir le monde entier, et en particulier les Iraniennes et Iraniens expatriés, qui ne quittent plus leurs téléphones pour suivre par bribes la contestation, impuissants et inquiets pour leurs proches sur place. Et toujours avec prudence, car même à l'étranger, les services de renseignement iraniens effraient.

"Ils ont tellement d’espions partout, ils peuvent facilement retrouver votre famille ou vos proches pour vous menacer, pour vous empêcher de faire ce que vous être en train de faire", confie l'une d'entre elles.

>> Lire aussi : Nouvelles manifestations de solidarité avec l'Iran en Suisse

Mais d'autres, portées par l'exemple d'hommes ou de femmes comme Asal sur place, refusent de céder à la peur. Et veulent croire en la réussite du mouvement.

"Je suis sûre que c’est le début de quelque chose de beaucoup plus grand et je suis sûre que ça ne va pas durer: ce régime va tomber. Je sais que ça va prendre du temps, mais cette fois-ci, c’est différent", affirme Shiva, à visage découvert devant les caméras de la RTS.

Micheline Calmy-Rey: "J'attends de la Suisse autre chose que des mots!"

Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont adopté lundi des sanctions contre la police des moeurs et onze dirigeants iraniens impliqués dans les répressions, dont le ministre des Technologies de l'information et des communications et le chef de la police des moeurs. Ils feront l'objet d'une interdiction de visa et d'un gel des avoirs de la part de l'UE.

Fin septembre, l'UE avait jugé "injustifiable et inacceptable" l'usage "généralisé et disproportionné de la force" contre les manifestants en Iran.

>> Ecouter La Matinale revenir mardi sur ces sanctions :

Les manifestations se poursuivent en Iran. [Keystone/EPA - Sedat Suna]Keystone/EPA - Sedat Suna
L'UE adopte des sanctions contre la police des moeurs iranienne / La Matinale / 1 min. / le 18 octobre 2022

"Autre chose que des mots!"

Côté suisse toutefois, la question semble plus délicate. Le Parti socialiste réclame un durcissement de la posture vis-à-vis de l'Iran, tandis que d'autres appellent à un alignement sur les sanctions de l'UE.

Invitée dimanche sur le plateau de Mise au Point, l'ancienne conseillère fédérale socialiste Micheline Calmy-Rey a fait part de son incompréhension à propos du manque de réaction concrète.

"La voix de la Suisse compte. Elle représente les intérêts américains en Iran, et les intérêts iraniens en Égypte, en Arabie Saoudite ou au Canada", rappelle-t-elle. Et pourtant, "je n'ai pas vu qu'elle ait tenté quoi que ce soit auprès du Conseil des droits de l'Homme ou aux Nations unies. J'attends de la Suisse autre chose que des mots!"

Un dilemme délicat autour des sanctions

Pour autant, sur la question précise des sanctions, elle comprend que la Suisse reste prudente, évoquant plusieurs arguments contre une telle décision. "L'Iran croule déjà sous les sanctions, avec une population qui souffre déjà d'une très forte inflation", dit-elle. "Qu'est-ce qu'apporteraient de nouvelles sanctions? C'est un argument qu'on entend."

Par ailleurs, la Suisse doit rester crédible dans sa posture de représentation des intérêts en Iran. "C'est un dilemme", explique-t-elle.

Un dilemme qu'elle raconte avoir porté elle-même, au sens propre, lorsqu'il a fallu revêtir le voile pour être autorisée à rencontrer le président Mahmoud Ahmadinejad en 2008. "Toute la délégation a privilégié le travail de représentation de la Suisse. J'ai pris mes responsabilités, mais je me suis senti franchement mal", confie-t-elle, témoignant de son expérience personnelle: "C'est vraiment se sentir dans une position de moins que rien. De personne qui ne compte pas. Dont le corps est malsain."

>> L'interview complète de Micheline Calmy-Rey :

Iran: interview de Micheline Calmy-Rey
Iran: interview de Micheline Calmy-Rey / Mise au point / 6 min. / le 16 octobre 2022