Modifié

Igor Delanoë: "Les défenses anti-aériennes ukrainiennes sont inefficaces contre les drones kamikazes"

Igor Delanoë explique le fonctionnement et l’utilisation des drones kamikazes
Igor Delanoë explique le fonctionnement et l’utilisation des drones kamikazes / Forum / 7 min. / le 17 octobre 2022
Depuis un peu moins d'un mois, des drones kamikazes iraniens ont fait leur entrée sur le théâtre des opérations en Ukraine. Utilisés en nombre, ils permettent à Moscou de percer les défenses anti-aériennes ukrainiennes. Pour Igor Delanoë, spécialiste de la géopolitique russe, ces nouvelles armes ont déjà montré leur efficacité.

Lundi matin, plusieurs frappes russes, utilisant notamment des drones kamikazes, ont fait huit victimes, dont quatre dans la capitale Kiev. Plusieurs autres régions du pays ont également vu leurs installations énergétiques être ciblées par ces engins. Mais que sont-ils en fait?

>> Le suivi de la situation en Ukraine : Quatre morts à Kiev après des frappes de drones sur la capitale

"Les drones kamikazes iraniens sont des Shaed-131 ou des Shaed-136. Ce sont de petits drones assez rudimentaires, qui peuvent avoir des charges militaires de 50 et 15 kilos seulement. Ils n'ont pas de caméras et ont besoin d'un autre drone pour les piloter et les aiguiller. Cet autre drone, le Mohajer-6, lui aussi iranien, est plus gros et a vocation à être positionné plus loin pour servir de tour de contrôle pour ces drones kamikazes, qui vont ensuite aller s'écraser sur une cible verrouillée et la faire exploser", détaille Igor Delanoë lundi dans Forum.

Pour celui qui est également directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe, ces petits engins ont pour l'instant montré leur efficacité, ce qui explique d'ailleurs qu'ils semblent être de plus en plus utilisés.

>> Relire le sujet de la RTS qui revenait au début du conflit sur l'importance que pourraient prendre les drones kamikazes : Des drones kamikazes pourraient avoir fait leur entrée dans la guerre en Ukraine

Une défense ukrainienne saturée

"Depuis leur entrée en action il y a un petit peu moins d'un mois, les drones ont été employés sur l'ensemble de la ligne de front, qui s'étend sur presque 1000 kilomètres. On les a d'abord vus dans la région de Kharkiv, où les Russes avaient besoin d'enrayer la contre-offensive ukrainienne, puis dans la région de Mykolaïv, d'Odessa ou encore de Zaporijjia", rappelle Igor Delanoë.

Ces drones ont été employés sur l'ensemble de la ligne de front, qui s'étend sur presque 1000 kilomètres

Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe

"Ils sont efficaces dès lors qu'ils sont utilisés avec un effet de saturation, quand on en utilise plusieurs. La défense anti-aérienne ukrainienne n'arrive pas à prendre en charge et à traiter ces drones (...) Ils ont également une signature radar extrêmement faible, si bien que les Ukrainiens ne les voient qu'au dernier moment, quand ils sont déjà en phase de piqué", ajoute l'expert.

Symbolique de l'impuissance ukrainienne face à ces armes, une photo de l'AFP montrant un policier ukrainien tentant d'abattre l'un de ces drones à l'aide d'une kalashnikov a fait le tour des réseaux sociaux lundi.

Un policier ukrainien tente d'abattre un drone kamikaze avec sa kalashnikov à Kiev, le 17 octobre 2022. [AFP - Yasuyoshi CHIBA]
Un policier ukrainien tente d'abattre un drone kamikaze avec sa kalashnikov à Kiev, le 17 octobre 2022. [AFP - Yasuyoshi CHIBA]

Dans l'attente d'une aide occidentale

Pour résoudre ce nouveau défi de taille, les Ukrainiens espèrent rapidement recevoir du matériel en provenance d'Europe et surtout des Etats-Unis. D'après Kiev, ce sont pas moins de 2400 de ces armes qui auraient été livrées à Moscou, une information que Téhéran dément de son côté fermement.

Pour Igor Delanoë, compte tenu des capacités iraniennes, ce chiffre apparaît plausible. "Ce que je ne sais pas, c'est si ce sont directement des stocks que les Iraniens ont prélevé chez eux pour les envoyer aux Russes. On soupçonne aussi qu'ils auraient transmis suffisamment d'éléments à Moscou pour que les Russes puissent assembler eux-mêmes ce types de drones. Cela aurait l'avantage pour le Kremlin de régler les problèmes de stocks, de logistique et de permettre un approvisionnement plus rapide du front", analyse-t-il.

>> Les précisions du 19h30 sur l'attaque de drones de lundi :

Des attaques de "drones kamikazes" ont ciblé un quartier central de Kiev, ainsi que d'autres cibles en Ukraine
Des attaques de "drones kamikazes" ont ciblé un quartier central de Kiev, ainsi que d'autres cibles en Ukraine / 19h30 / 2 min. / le 17 octobre 2022

Côté occidental, la parade pourrait passer par l'arrivée de systèmes anti-drones américains Titan, qui permettraient selon BlueHalo, son fabricant, de brouiller en seulement quelques minutes les fréquences des drones Shaed. Une annonce a d'ailleurs été faite en ce sens par Washington à la fin du mois passé.

"Le matériel envoyé ne sera donc pas de manufacture soviétique ou russe, ce qui signifie que les Ukrainiens ne sauront pas forcément bien le manier. Cela va demander à nouveau un temps de formation et poser la question récurrente des stocks disponibles dans les armées occidentales", rappelle Igor Delanoë.

Un rapprochement Téhéran-Moscou

Pour la Russie, l'emploi de ces drones semble pour l'instant n'apporter que des avantages. Non seulement ils ont une certaine efficacité sur le champ de bataille, mais ils représentent aussi une arme à moindre coût: quelque 20'000 dollars seulement pour un modèle, contre 2 millions pour un missile de croisière.

On a assisté ces dernières semaines au franchissement d'un seuil qualitatif dans la coopération militaro-technique entre la Russie et l'Iran

Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe

Des drones bon marché qui percent les lignes de défense ukrainienne, mais des drones iraniens surtout. Pour Igor Delanoë, ce changement de paradigme montre que les relations entre Moscou et Téhéran se sont fortement développées.

Le président russe Vladimir Poutine a rencontré le président iranien Ebrahim Raisi en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande, en Ouzbékistan, le 15 septembre 2022. [Sputnik/reuters - Alexandr Demyanchuk]
Le président russe Vladimir Poutine a rencontré le président iranien Ebrahim Raisi en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande, en Ouzbékistan, le 15 septembre 2022. [Sputnik/reuters - Alexandr Demyanchuk]

"On a assisté ces dernières semaines au franchissement d'un seuil qualitatif dans la coopération militaro-technique entre la Russie et l'Iran, qui avait déjà connu un tournant majeur lors du conflit syrien en 2015 (...) Avec ces drones, on a franchi un nouveau seuil", décrypte-t-il.

Une relation qui devrait encore prochainement s'approfondir. "Si on en croit le Washington Post, qui cite des sources militaires américaines, la prochaine étape serait que l'Iran fournisse à la Russie des missiles sol-sol, avec des portées de 300 à 700 kilomètres", ajoute-t-il. Des informations là encore démenties fermement par l'Iran.

Propos recueillis dans Forum par Renaud Malik

Version web: Tristan Hertig

Publié Modifié

Washington menace de sanctionner toute personne liée aux drones iraniens

Washington a menacé lundi de sanctionner les entreprises ou les Etats collaborant au programme de drones de l'Iran, après les récentes frappes en Ukraine réalisées à l'aide de drones de fabrication présumée iranienne.

"Toute personne exerçant des activités avec l'Iran en lien avec le développement de drones ou missiles balistiques, ou (participant à) la circulation d'armes de l'Iran vers la Russie devrait faire preuve de vigilance", a déclaré Vedant Patel, porte-parole du département d'Etat.

"Les Etats-Unis n'hésiteront pas à avoir recours à des sanctions ou à prendre des mesures à l'encontre des principaux responsables".

"Le renforcement de l'alliance entre la Russie et l'Iran devrait être considéré par le monde entier (...) comme un grave danger", a-t-il ajouté.