Depuis la déclaration de 1987 du dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev affirmant "l'intérêt profond et certain de l'Union soviétique d'empêcher le nord de la planète […] de devenir à nouveau une zone de guerre, ainsi que celui de former un véritable espace de coopération fructueuse et de paix", l'Arctique était l'une des régions les plus stables du monde.
Mais l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février dernier a mis en péril l'équilibre régional du Pôle nord. En effet, les jours suivants, les pays occidentaux membres du Conseil de l'Arctique (Canada, Danemark, Etats-Unis, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ont suspendu leur collaboration avec la Russie.
Légitimité du Conseil de l'Arctique
"Le Conseil de l'Arctique ne fonctionne plus, dit Mikaa Mered, chargé d'enseignement en géopolitique des pôles à Sciences Po et à l'Ecole de guerre. Tous les programmes scientifiques, de recherches et de collaboration avec la Russie sont suspendus."
Les activités des institutions "connexes" comme le Forum des gardes côtières de l'Arctique et le Conseil économique de l'Arctique sont également arrêtées.
Jusqu'à présent, le Conseil tenait sa légitimité dans le fait qu'il s'agissait du seul organisme rassemblant les huit pays ayant des terres et des mers au nord du cercle polaire
"Les Russes continuent d'organiser les activités du Conseil de l'Arctique dans leur coin, note Mikaa Mered. Les sept autres pays réfléchissent à ce qu'ils peuvent faire. Ils pourraient créer un autre Conseil avec les puissances occidentales", explique-t-il. La légitimité du Conseil de l'Arctique est remise en cause, estime l'auteur du livre "Les mondes polaires". "Jusqu'à présent, le Conseil tenait sa légitimité dans le fait qu'il s'agissait du seul organisme rassemblant les huit pays ayant des terres et des mers au nord du cercle polaire."
L'influence de la Chine
La Chine, qui est "membre observateur" au Conseil de l'Arctique comme la Suisse, met aussi en doute la légitimité de l'institution. En effet, l'envoyé spécial chinois pour les Pôles a lâché samedi dernier une "bombe" lors de l'Assemblée du Cercle de l'Arctique: "La Chine ne reconnaîtra pas un Conseil de l'Arctique où la Russie n'est pas."
Selon Mikaa Mered, il "n'est pas possible de faire sans la Russie", car elle représente plus de la moitié de la population, de l'activité économique et des littoraux de la zone. Le chargé d'enseignement en géopolitique des pôles juge qu'une "logique de blocs" comme lors de la Guerre froide pourrait amener à une double institutionnalisation de l'Arctique. D'autant plus si la Finlande et la Suède adhèrent dans les prochains mois à l'Otan.
Il n'est pas possible de faire sans la Russie dans l'Arctique
"Le scénario d'un 'one to one' avec la Chine était redouté il y a une dizaine d'années par la Russie (la Russie s'était opposée jusqu'en 2013 à l'entrée de la Chine au Conseil de l'Arctique, n.d.l.r.), car la Chine a plus d'influence et tient économiquement la Russie dans cette zone."
Mikaa Mered y voit un autre problème: la Russie assure la présidence tournante du Conseil de l'Arctique jusqu'en mai 2023. Moscou devra ensuite transmettre la présidence à la Norvège, un calendrier prévu de longue date. "Mais il y a un vide juridique. Jusqu'à maintenant, jamais le pays présidant le Conseil de l'Arctique n'a été dans l'incapacité opérationnelle de pouvoir passer le témoin à un autre pays", souligne-t-il.
Une "globalisation" de l'Arctique
L'Arctique passe ainsi gentiment d'une "région très spécifique dans les relations internationales" à une région "complètement globalisée", analyse Mikaa Mered. "Comme les sujets climatiques sont des sujets mondiaux et que ce qui se passe en Arctique a une influence directe sur la montée du niveau des mers et le climat, la Chine, l'Inde ou encore des petits pays du Pacifique Sud et d'Amérique du Sud se soucient de ce qui se passe au Conseil de l'Arctique", observe Mikaa Mered.
"Ce qui se joue, c'est la paix dans l'Arctique. Personne n'envisageait une guerre en Arctique pour l'Arctique. Mais des conflits extérieurs à l'Arctique viennent mettent en péril la paix dans la zone", déclare-t-il. L'activité économique est également en jeu. "Si on n'a pas de science, ainsi qu'une coopération économique et scientifique en Arctique, ce n'est pas juste dans cette zone qu'on aura des problèmes", avertit Mikaa Mered.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/vajo