"Les Pêchers en fleurs" de Vincent Van Gogh (Courtauld Gallery, Londres) le 30 juin, "La charrette de foin" de John Constable (National Gallery, Londres) le 4 juillet, "Le printemps" de Boticelli (galerie des Offices, Florence) le 22 juillet ou encore "Maloja en hiver" de Giovanni Giacometti (MCBA, Lausanne) le 11 septembre... La liste des œuvres d'art visées ces derniers mois par les activistes climatiques est longue.
Les actions menées par des petits groupes très mobiles dans divers lieux sont la marque de fabrique de la campagne écologiste internationale A22 Network, dont Renovate Switzerland, Just Stop Oil et Ultima Generazione font partie. Dans beaucoup de cas, ce sont eux qui bloquent les autoroutes et collent leurs mains au bitume.
Mais pourquoi les militants investissent-ils les musées? Les raisons sont multiples. Premièrement, ils souhaitent attirer l'attention du public pour demander aux gouvernements des prises de décisions écoresponsables. Il y a aussi des dimensions plus métaphoriques. "Qu'est-ce qui vaut le plus, l'art ou la vie?", telle est la question scandée vendredi dernier par l'une des militantes qui a jeté de la soupe sur les "Tournesols" de Vincent Van Gogh à la National Gallery de Londres.
Cette action n'a que très légèrement endommagé le cadre, et le tableau de 1888 - protégé par une vitre - est intact, comme tous les tableaux "attaqués" durant l'été par les militants.
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"Tout n'est pas un spectacle"
L'objectif des activistes est aussi de bousculer le visiteur en comparant l'incompréhension qu'il ressent parfois face à des œuvres à celle qu'il ressent face à l'urgence climatique.
"Je pense qu'il y a une bonne analogie entre la façon dont les gens visitent les musées - souvent d'une manière passive, rapide et superficielle - et comment ils voient la nature et la crise climatique - également d'une manière passive, rapide et superficielle", a expliqué cette semaine dans l'émission Tout un monde de la RTS Michele Giuli, membre du groupe italien Ultima Generazione, qui s'est attaqué au "Printemps".
Et d'ajouter: "Tout n'est pas un spectacle. Ça, c'est un autre grand problème de notre société. On vit le changement climatique comme si c'était un spectacle. Les gens comme moi, qui ont été ou sont des agriculteurs, savent que ce n'en est pas un", regrette-t-il.
De la rue aux musées
La "dégradation" d'œuvres d'art, parfois plus radicale, existe depuis longtemps. Lors des dernières opérations des activistes, ceux-ci ont choisi avec précaution les tableaux sur lesquels ils collent leurs mains. Les peintures représentent la plupart du temps une biodiversité riche et en bonne santé, des paysages qui, selon eux, sont mis à mal par les activités humaines.
Militer au musée n'est donc pas nouveau. Utiliser son corps pour protester - les mains, dans ces cas précis - ne l'est pas non plus. "Ce qui est assez remarquable dans les manifestations écologistes, c'est l'engagement des corps. L'engagement militant au sens où il se met en scène, il peut être réprimé", estime Sylvie Ollitrault, chercheuse en sociologie du militantisme au CNRS. "On peut essayer de faire corps, s'accrocher à… (...) C'est ce qu'il y a de spécifique chez les écologistes".
Si les grandes marches pour le climat existent toujours, elles battent un peu de l'aile, selon Sylvie Ollitrault. "Depuis quelques années, il y a une désaffection des grands rassemblements, parce qu'on ne voit pas d'effets tangibles. Pour montrer l'urgence de la situation en ce moment, on assiste à une démultiplication des actes de désobéissance civile dans des espaces variés."
Provoquer de l'exaspération
Les actions dans les musées sont apparues cet été, mais elles ne sont déjà plus une priorité, selon l'activiste d'Ultima Generazione Michele Giuli. "Cette action a eu un grand impact médiatique, mais je crois qu'elle n'a pas d'impact réel", note-t-il.
Et de compléter: "Ce que nous devons faire, c'est mener des actions de désobéissance civile qui créent une gêne économique plus importante. C'est la plus grande exaspération possible. C'est l'exaspération qui pousse les gouvernements à répondre. Finalement, je crois que ce type d'actions, faites trop de fois, ne constitue plus une nuisance mais devient une performance normalisée, une habitude pour les personnes. Il devient une mode."
Sujet radio: Mathilde Salamin
Adaptation web: Valentin Jordil
De multiples exemples dans l'histoire
En 1914, une suffragette canadienne, Mary Richardson, a lacéré sept fois la Vénus à son miroir de Diego Vélasquez (National Gallery, Londres) pour protester contre les conditions d'incarcération de sa compagne de lutte Emmeline Pankhurst.
La militante féministe disait détruire "l'image de la plus belle femme de la mythologie", car elle n'aimait pas "la façon dont les hommes la regardaient bouche bée toute la journée".
En 1974, le marchand d'art Tony Shafrazi a écrit à la peinture rouge sur Guernica de Pablo Picasso, alors exposé au MoMa de New York, les mots "Kill lies all" pour protester contre la Guerre du Vietnam. "Guernica est une œuvre vivante. Moi, je l'ai juste fait crier. D'une manière ou d'une autre, cela a réveillé tout le monde. C'était le but", expliquait-t-il plusieurs années après son geste.