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Michel Foucher: "On dit souvent que les empires déclinants sont agressifs"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Michel Foucher, géographe
L'invité de La Matinale (vidéo) - Michel Foucher, géographe / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 12 min. / le 20 octobre 2022
La Russie, qui a déclaré la loi martiale dans les territoires ukrainiens annexés, a commencé mercredi à évacuer la population de Kherson, ville stratégique du sud de l'Ukraine. L'ancien ambassadeur français Michel Foucher y voit une défaite pour Moscou.

Interrogé dans La Matinale de la RTS jeudi, Michel Foucher a rappelé que, contrairement à la ville de Marioupol qui a été complètement détruite, la ville de Kherson a la particularité de s'être rendue à l'armée russe le 2 mars dernier sans résistance. Face à l'avancée des forces ukrainiennes dans la région, l'administration d'occupation russe a commencé mardi l'évacuation de 50'000 à 60'000 personnes.

Des militaires russes patrouillaient en mai dernier autour de la centrale hydroélectrique de Kakhovka. [AFP - Olga Maltseva]
Des militaires russes patrouillaient en mai dernier autour de la centrale hydroélectrique de Kakhovka. [AFP - Olga Maltseva]

"Pour l'armée ukrainienne, c'est compliqué, car c'est une ville qui n'avait jamais connu la guerre directement. Il se peut que certains soient tentés par l'argumentaire russe d'une mise à l'abri", estime l'ancien diplomate, qui a notamment représenté la France sous la présidence de Jacques Chirac dans les pays baltes.

De par son positionnement, Kherson revêt une importance stratégique particulière pour les belligérants. "C'est la seule ville occupée par l'armée russe sur la rive droite du Dniepr. A une cinquantaine de kilomètres de Kherson, vous avez le grand réservoir de Kakhovka, qui alimente le canal du nord, du Dniepr jusqu'en Crimée. Cette dernière est une région très sèche qui a absolument besoin de ce canal. Ça sera le prochain enjeu, mais Kherson sera inévitablement reconquise par l'armée ukrainienne", analyse encore celui qui est aussi géographe.

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L'enjeu des frontières

Face à l'agression russe, qui vise à l'extension de son territoire, l'Ukraine se bat pour regagner ses frontières, que Michel Foucher définit comme la "matérialisation du rapport de force". Le spécialiste des frontières géopolitiques a récemment publié un ouvrage intitulé "Ukraine-Russie, la carte mentale du duel". Mentale, car la frontière est d'abord une ligne de pensée imaginaire que chacun cherche à imposer sur le terrain.

"Ce n'est pas une guerre normale, c'est une agression. Les Ukrainiens se battent pour leur territoire, leur famille, leur patrie, leur indépendance, leur émancipation nationale. De l'autre côté, vous avez des forces physiques, l'artillerie lourde avec une armée russe composite qui est en territoires occupés. Dans un tel cas, c'est une position de faiblesse à la fois politique et morale", détaille Michel Foucher sur la RTS.

Il y a une volonté d'étendre le territoire de la Fédération de Russie aux dépens de l'Ukraine, mais c'est en train d'échouer

Michel Foucher, ancien ambassadeur de France en Lettonie

Pour Michel Foucher, Vladimir Poutine mène un projet néo-impérial à travers cette guerre de frontières. "A la Société de géographie, dont il préside le comité de parrainage en Russie, il disait: 'Je blague, mais enfin, nos frontières sont illimitées'. L'ancien président Medvedev a dit la même chose. Il y a une volonté d'étendre le territoire de la Fédération de Russie aux dépens de l'Ukraine et d'imposer une nouvelle frontière. Ça a commencé en 2014, mais c'est en train d'échouer", relève-t-il.

C'est précisément cela qui se joue en Ukraine: "On peut avoir besoin de rétablir les frontières, par exemple en cas de pandémie ou de menaces. Là, l'enjeu est de mettre un coup d'arrêt à l'expansion de la Russie sous la forme de l'empire. Dans le meilleur des cas, on va retourner à la situation du 23 février 2022", indique Michel Foucher, précisant "qu'il n'y a plus de place aujourd'hui pour un empire sur le continent européen" et reprenant une citation de l'historien Jean-Baptiste Durosselle (1917-1994): "Tout empire périra".

Fin chaotique et sanglante des empires

A ce titre, l'ancien diplomate précise que la fin des empires peut être sanglante et chaotique. "Les empires déclinants sont agressifs. La chute de Kherson va représenter une défaite et aura certainement des conséquences. Quand vous regardez l'histoire de l'empire russe, à l'exception de Staline en 45, tous les changements de régime ont été la conséquence de défaite militaire à l'extérieur", insiste-t-il, en prenant les exemples de la bataille de Tsushima (1905), la défaite de l'armée rouge sur le front en 1917, ou encore l'échec de l'URSS lors de la guerre d'Afghanistan (1979-1989).

"Ce qui se joue sur le théâtre ukrainien aura des répercussions politiques à Moscou. La défaite, et la victoire de l'autre côté, auront une appréciation à la fois politique et militaire. Tout dépendra du discours que l'on va tenir sur une défaite, même tactique. Et du côté de Kiev, il y a un art de la communication tout à fait extraordinaire", observe Michel Foucher.

Devant l'horreur générée par ce conflit russo-ukrainien, l'ambassadeur de France en Lettonie entre 2002 et 2006 souligne finalement l'importance de la mise en place d'un tribunal de guerre: "Ce sont des crimes de guerre. Il faudra qu'à un moment ou un autre il y ait un procès de Nuremberg, sinon on ne vivra jamais en paix en Europe."

Propos recueillis par Frédéric Mamaïs

Adaptation web: Jérémie Favre

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