Sur la rive gauche du Dniepr à Kiev, le quartier de Troyechina est privé d'eau et d'électricité. Deux missiles ont frappé la centrale thermoélectrique qui l'alimentait. Dès lors, ses quelque 500'000 habitants sont contraints de se débrouiller comme ils peuvent, en optant le plus souvent pour le système D.
Devant ce qui est en temps normal un immense supermarché, des employés ont installé des tables en bois devant la porte. Unis dans l'adversité, ils y vendent des biens de première nécessité. "On s’est organisé pour pouvoir vendre de l’eau, du pain et du lait aux habitants du quartier. On est une bonne équipe. Le tout, c’est d’avoir suffisamment de marchandises", témoigne une femme au micro de Maurine Mercier, dans l'émission Tout un monde.
Calme et discipline
Les habitants sont aussi privés d’eau potable, après ces frappes. L'eau qui est donc devenue une denrée rare dans le pays. Dans la file d'attente, Anya, 17 ans, est venue en chercher. Bonnet sur la tête, son petit frère, 5 ans, n’a pas bu depuis plusieurs heures.
Ils sont nombreux dans cette situation. Pourtant, comme très souvent depuis le début du conflit, tout le monde attend son tour dans le calme et la discipline. La guerre nourrit la solidarité, comme le démontre une autre Ukrainienne, elle aussi à la recherche d'eau. "Je ne prends pas dix bouteilles parce je veux penser aux autres. Je veux être sûre que les autres habitants – dont les familles surtout, comme nous – en auront également."
La Russie augmente la cadence des bombardements sur les infrastructures vitales pour les habitants. Mais les Ukrainiens et Ukrainiennes restent stoïques, comme pour montrer une forme de résistance. "Depuis le début de la guerre, je craignais beaucoup que tout ceci n’arrive. Aussi parce que mon père travaille pour une entreprise oeuvrant dans la logistique", continue-t-elle. Plus encore que l’eau ou l’électricité, c’est sa vie d'avant, sans bombes, qui lui manque le plus. "A quel point j’ai peur? Sur une échelle de 10, je dirais 7. Mais je comprends que je ne peux pas vivre toujours avec cette peur. J’essaie de me calmer. Parce qu’il faut continuer à vivre."
Dans une des tours du quartier où les ascenseurs sont immobilisés, Olga Kocharna, spécialiste des questions énergétiques, est bloquée chez elle. Son téléphone portable avec lequel elle répond aux questions de notre correspondante n'a d'ailleurs bientôt plus de batterie. "Comme la centrale thermique qui fournit l'électricité à ce district a été attaquée, nous n'avons plus d'électricité, ni d'eau à la maison. Et puis, il y a le problème des communications aussi d'ailleurs. Sans compter internet qui va et qui vient."
Le pire est à venir
Selon elle, le président exagère lorsqu’il assure que la Russie a détruit en une semaine 30% des centrales électriques. Mais il est difficile d’y voir clair, car depuis le début de la guerre, les experts comme elle n’ont plus accès aux chiffres officiels, explique-t-elle.
Quoi qu'il en soit, d'après Olga Kocharna, le pire reste encore à venir. Plus que l’électricité, c’est selon elle le chauffage qui va cruellement manquer. Surtout qu'en Ukraine, l'hiver est glacial.
"Le gros problème, c’est le chauffage des appartements", souligne-t-elle. "Les gens louent donc maintenant des maisons à la campagne, là où ils pourront se chauffer de manière indépendante, au bois ou avec des générateurs. Là, beaucoup de gens sont en train de quitter Kiev."
Pour la spécialiste, ces attaques délibérées et si massives de la Russie sont du terrorisme. "Car elles sont dirigées contre des infrastructures civiles", poursuit-elle avant que la communication téléphonique ne s'interrompe.
Olga Kocharna tient à tout prix à exprimer ce qu’elle vit. Comme tant d’Ukrainiens et d'Ukrainiennes, elle a l'impression d'être prise en otage. L’immense majorité de la population n’aura pas la possibilité ou les moyens de se trouver un autre logement cet hiver pour se chauffer au bois et s’émanciper de ce chauffage central menacé par les frappes et qui alimente la plupart des immeubles.
"Pour tous ceux qui sont dans la même situation que moi, c'est un désastre", déplore-t-elle alors que notre correspondante est parvenue à la rappeler. "Mon mari est handicapé. Il ne peut pas se déplacer. On est bloqués. Qu’est-ce qu’on peut faire? On ne peut quand même pas construire une cheminée dans un appartement!"
A l’approche de l’hiver, près de 1200 localités, comme à Troyechina, sont privées d’électricité, reconnaît le service ukrainien des situations d’urgence.
Maurine Mercier/fgn