Fallait-il octroyer la Coupe du monde de football au Qatar, pays sans culture footballistique, richissime mais désertique, qui a dépensé 200 milliards de francs pour construire de luxueux stades et des hôtels gigantesques en exploitant des dizaines de milliers de travailleurs venus du sous-continent indien, d’Asie ou d’Afrique?
Journaliste à Radio France, Christian Chesnot vient de publier "Le Qatar en 100 questions", aux éditions Tallandier. Invité lundi de l'émission Tout un monde de la RTS, il dresse tout d'abord un bref historique de l'émergence fulgurante de ce tout petit Etat sur la scène internationale depuis le début du siècle.
"Il y a eu un homme visionnaire, le cheikh Hamad, qui a pris le pouvoir en 1995 et a utilisé le gaz comme levier financier, mais surtout d'influence pour construire le Qatar, pour le faire exister", rappelle-t-il.
Son modus operandi est que tout peut s'acheter à condition d'y mettre le prix.
"C'est ce qu'on va appeler le 'soft power'. Il va investir dans beaucoup de domaines, l'aérien avec Qatar Airways, le médiatique avec Al Jazeera et le sport qui est la religion universelle. Les Qatariens ont vite compris que c'était un secteur prometteur dans lequel on pouvait donner une bonne image", poursuit Christian Chesnot.
Le puissant levier financier du fonds souverain
Et le fonds souverain doté de 450 milliards de dollars est le levier financier qui permet au Qatar de rayonner. "Son modus operandi est que tout peut s'acheter à condition d'y mettre le prix", souligne ce spécialiste du Moyen-Orient.
"Le Qatar partage le business avec les grands pays alliés comme les Etats-Unis, la France, l'Angleterre ou l'Allemagne", précise-t-il. "A partir de là, il va diversifier ses investissements, y compris en Suisse avec des achats d'hôtels. En France, le Qatar pèse 25 milliards de dollars d'investissements, en Allemagne 25 milliards et en Grande-Bretagne, 45 milliards". Et la guerre en Ukraine, avec l'explosion du prix du gaz, ne fait qu'augmenter encore la richesse du pays.
Mais la partie la plus visible de l’influence du Qatar est la chaîne de télévision Al Jazeera, qui a placé le pays sur la scène internationale.
"C'était l'idée du cheikh Hamad de faire exister le Qatar au milieu des géants que sont l'Arabie saoudite ou l'Iran", explique Christian Chesnot. "Et il a parfaitement réussi (…) Il y a quinze ans, personne ne connaissait Doha. Avec la Coupe du monde, le Qatar devient le centre de la planète. Avec 300'000 citoyens qataris, soit un pays grand comme la Corse, cet Etat obtient une influence planétaire et joue les premiers rôles", analyse-t-il.
Le Qatar est aussi parvenu à s’imposer comme un médiateur dans les grandes crises internationales. Car "il parle à tout le monde et surtout à des gens que les Occidentaux n'aiment pas: le Hamas palestinien, les talibans, les mouvements radicaux en Syrie".
Il y a la proximité idéologique avec le Hamas et des tentations de vouloir financer l'islam en Europe.
Mais il y a aussi le soutien de l'émirat au mouvement des Frères musulmans et son financement supposé du terrorisme: "Il y a ce que j'appelle dans mon livre 'la zone grise' (…) avec des accointances, des alliances pas très ragoûtantes, avec des groupes extrémistes, djihadistes, en Libye, au Mali ou en Syrie", explique le journaliste français. "Il y a la proximité idéologique avec le Hamas et des tentations aussi de vouloir financer l'islam en Europe".
Dans un précédent livre, "Qatar papers", Christian Chesnot avait révélé avec son collègue qu'en Suisse, en France ou en Allemagne, le Qatar avait financé beaucoup de choses et notamment des mosquées et des associations islamiques.
Un agenda caché sur le front religieux?
"Et on se demande quel est l'agenda du Qatar", relève-t-il. "Racheter des clubs de foot, de grands hôtels, investir dans l'économie, ok. Mais quand on commence à toucher à l'ADN des pays, à s'immiscer dans les affaires religieuses, on se dit qu'il y a peut-être un danger. Et c'est pour ça qu'avec le Qatar il faut parfois être un peu vigilant. Sa puissance financière permet d'acheter beaucoup de choses et parfois les consciences".
La démocratisation est en marche mais elle n'a pas forcément la même signification qu'en Occident.
Mais la Coupe du monde de football peut-elle servir à la démocratisation du pays? "Le Qatar est une petite société, c'est une grosse ville suisse", rappelle ce bon connaisseur de la région.
"C'est une société bédouine avec un émir, des gens qui sont chouchoutés parce qu'ils ont l'un des plus grands pouvoirs d'achat au monde, un des plus grands PIB par habitant. La démocratisation est en marche (…), mais c'est long et cela n'a pas forcément la même signification qu'en Occident. Cela ne va pas changer du jour au lendemain".
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Propos recueillis par Patrick Chaboudez/oang
L'émir dénonce une campagne de critiques "sans précédent"
Le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani a fustigé mardi une campagne "sans précédent" contre l'organisation de la Coupe du monde de football, dénonçant des "calomnies" à quelques semaines du coup d'envoi de cet événement planétaire.
Fait rare, l'émir du Qatar a exprimé publiquement et sans ambages son mécontentement face à cette campagne "qu'aucun autre pays hôte n'a subie".
"Au départ, nous avons même considéré que certaines critiques étaient positives et utiles, nous aidant à développer des aspects qui devaient l'être", a concédé le cheikh Al-Thani lors d'un discours devant le conseil législatif à Doha.
"Mais il nous a vite semblé clair que la campagne persiste, s'étend, qu'il y a des calomnies et du deux poids deux mesures, atteignant un niveau d'acharnement qui a amené beaucoup de gens à s'interroger sur les véritables raisons et motivations de cette campagne", a-t-il fustigé.