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Belgorod, la base logistique russe devenue la cible des Ukrainiens

Une vue d'un immeuble résidentiel qui a été endommagé par les bombardements des forces armées ukrainiennes, selon le gouverneur de la région, à Belgorod, en Russie, le 13 octobre 2022. [Keystone - Gouvernement régional de Belgorod]
Une vue d'un immeuble résidentiel qui a été endommagé par les bombardements des forces armées ukrainiennes, selon le gouverneur de la région, à Belgorod, en Russie, le 13 octobre 2022. - [Keystone - Gouvernement régional de Belgorod]
En avril, Belgorod avait été la première ville russe d'importance frappée depuis le début du conflit en Ukraine. Dépôts de carburant, immeubles résidentiels, centrales électriques: les attaques se sont depuis multipliées, sans que Kiev ne les revendique. Une situation qui embarrasse à Moscou et qui crée des remous entre le groupe Wagner et le Kremlin.

L'attaque du vendredi 1er avril avait tout d'un scénario hollywoodien. A 6h du matin, deux hélicoptères probablement ukrainiens avaient réussi à entrer dans l'espace aérien russe, en volant à basse altitude, et à toucher un dépôt de pétrole de la ville de Belgorod, avant de repartir. Une véritable bravade, bien que jamais confirmée par les autorités ukrainiennes, alors que Moscou semblait encore largement avoir l'avantage sur le terrain militaire.

Les mois passant, la situation a radicalement changé et les contre-offensives ukrainiennes ont été couronnées de succès, tant sur le front sud, dans la région de Kherson, que dans le Donbass (est). Située à seulement 40 kilomètres de la frontière ukrainienne et à 80 kilomètres de Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine longtemps assiégée sans succès par les forces russes, Belgorod et sa région font les frais de ce retournement de situation.

La ville russe de Belgorod n'est située qu'à 80 kilomètres de la ville ukrainienne de Kharkiv. [Google Map - RTS]
La ville russe de Belgorod n'est située qu'à 80 kilomètres de la ville ukrainienne de Kharkiv. [Google Map - RTS]

Pas une semaine ne se passe désormais sans que la ville et ses environs ne soient touchées par des tirs. Dimanche 16 octobre, ce sont par exemple pas moins de 16 explosions qui ont été recensées près de l'aéroport de la ville. Samedi 22, deux personnes ont été tuées après des bombardements d'infrastructures dans la ville de Chebekino, dans l'oblast de Belgorod, selon Viatcheslav Gladkov, le gouverneur de la région.

La région russe est entrée de plein fouet dans la guerre. Pour Belgorod et ses 391'000 habitants, il devient difficile de croire à une simple "opération militaire spéciale". Nombre d'entre eux ont d'ailleurs décidé de quitter la ville, alors que l'administration locale a pris la décision d'aménager des locaux et des caves, pour s'abriter des bombardements.

Une situation qui apparaît comme un camouflet pour Vladimir Poutine, qui a ordonné par décret d'augmenter le niveau de sécurité dans la région.

Belgorod, un hub logistique pour l'armée russe

Sans s'avancer sur l'origine des attaques (Kiev continue en effet à ne pas les revendiquer), Janne Mäkitalo, lieutenant-colonel finlandais, estime qu'il serait logique que les Ukrainiens s'en prennent à Belgorod.

"Belgorod serait une cible militaire tout à fait légitime. C'est une plaque tournante logistique clé, avec de très bonnes autoroutes et, surtout, une voie ferrée (...) La logistique des forces armées russes repose fortement sur les chemins de fer et, depuis le début de la guerre, Belgorod a été l'une des principales routes par lesquelles les troupes ont été transportées vers le Donbass", explique dans le quotidien finlandais Helsingin Sanomat celui qui est également professeur militaire à l'Université de la Défense nationale.

Et d'ajouter: "Belgorod est également la seule grande ville de la région qui dispose d'installations pour la formation des soldats fraîchement recrutés. Centraliser et héberger des dizaines de milliers de soldats est un défi. Une ville comme Belgorod offre cette possibilité."

D'après l'expert finlandais, les attaques ukrainiennes multiples chercheraient aussi à avoir un impact psychologique, important volontairement la guerre sur le territoire russe.

Divergences à Moscou

Dans une note datant du 22 octobre, le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW), spécialisé dans les questions de Défense, juge par ailleurs que la situation à Belgorod crée des remous entre le groupe Wagner et les officiels du Kremlin.

Financé par l'oligarque Evguéni Prigojine, la société militaire russe privée estimerait que "les bureaucrates" s'opposeraient directement aux besoins sécuritaires de la population.

Sur les réseaux sociaux, le groupe fait d'ailleurs la promotion de la mise en place progressive d'une ligne de défense dans le nord-est de l'Ukraine et dans l'oblast de Belgorod, appelée sobrement "ligne Wagner". Tranchées, fortifications, blocs de béton sont visibles sur de nombreuses photos publiées par des groupes de soutien de la milice.

Un projet qui aurait été "suspendu" par les responsables russes locaux, selon ces mêmes groupes. Il faut dire que les plans de la ligne de fortifications qui ont été publiés collent mal avec les récits du Kremlin. Achevée, cette dernière défendrait la frontière entre l'oblast de Belgorod et les oblast ukrainiens de Soumy, Kharkiv et Lougansk. Elle ne couvrirait toutefois pas le nord de l'oblast de Lougansk, ce qui la placerait en contradiction directe avec les promesses de Moscou lors des "cérémonies" d'annexion de la province.

D'autres cartes montrent que cette "ligne Wagner" ne défendrait que les territoires séparatistes russes avant l'offensive du 24 février 2022, autrement dit, un retour à la case départ dans l'est de l'Ukraine.

Pour l'ISW, Prigojine et le groupe Wagner se préparent donc probablement à défendre les positions qu'ils pensent pouvoir occuper de manière réaliste et non pas l'étendue actuelle des lignes russes ni l'ensemble du territoire que Moscou prétend avoir annexé, s'opposant ainsi aux ambitions de Vladimir Poutine.

Pour le ministère britannique de la Défense, s'il était réalisé, le projet suggérerait surtout un "effort important" pour préparer des défenses en profondeur derrière la ligne de front actuelle, afin de tenter de dissuader toute contre-offensive ukrainienne.

Tristan Hertig

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