Le Parlement européen a adopté le mois dernier un règlement contre la "déforestation importée". L’objectif est de garantir aux consommateurs que les produits qu’ils achètent ne contribuent pas à la destruction des forêts, notamment des forêts tropicales irremplaçables. Parmi les produits ciblés à Bruxelles figurent tout particulièrement le soja, l’huile de palme, le café et le cacao.
Ce texte résonne particulièrement en Côte d’Ivoire, l'un des deux plus grands producteurs au monde avec le Ghana, où cette culture a un lourd coût environnemental: le pays a perdu 90% de ses forêts.
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Au coeur des discussions à la Journée du cacao
Chaque mois de septembre depuis 2015, les Journées nationales du cacao et du chocolat sont un événement en Côte d'Ivoire. Organisées par le Conseil du Café Cacao (CCC), elles réunissent tous les acteurs de ce secteur clef de l’économie qui participe à hauteur de 30% du PIB du pays. Industriels, cultivateurs et chocolatiers se pressent à cette grande messe de la fève inaugurée par le président ivoirien Alassane Ouattara en personne.
Et cette année, les regards se tournaient tout particulièrement vers les agences de certification. En raison de la nouvelle législation européenne, leur rôle sera de plus en plus important dans les années à venir.
Appel à soutenir un maximum de planteurs
Pour le président du Conseil Café Cacao, rencontré sur place, il y a urgence à ce que toutes les plantations soient certifiées afin d’assurer les ventes vers les pays européens et de meilleurs revenus pour les planteurs.
"Nous savons que les fèves certifiées représentent à peine 15%, mais je pense que c’est largement inférieur", relève Yves Brahima Koné mardi dans l'émission Tout un monde.
Mais ce n'est pas le plus important: "Nous préférons que tout ce qu’il y a comme gain dans la filière soit pour le maximum de planteurs", poursuit-il. "Il ne s’agit pas de mettre des petits programmes de certification en direction de quelques planteurs et dire qu’on paie les planteurs de notre pays. Ce que nous souhaitons, c’est que tous nos produits soient concernés par le programme de durabilité".
Cahier des charges "vraiment rigoureux" selon les agences
A l’origine, ces programmes de certification ont été mis en place et financés par les multinationales du chocolat sous la pression des consommateurs. Ils fixent notamment un cahier des charges plus contraignant concernant le respect des normes environnementales et sociales.
Le président de Fair Trade Africa, l’une de ces agences de certification, défend leur bien-fondé. "Vous ne devez pas détruire la forêt, il y a des insecticides, des pesticides que vous ne devez pas utiliser, vous devez contribuer à la mise en place du couvert végétal, vous êtes inscrit dans ce qu’on appelle le respect des normes environnementales", détaille Kouamé Benjamin Franklin.
"Fair Trade est un label qui a ses règles, vraiment rigoureuses", souligne-t-il. "Et donc, quand on vous a donné ce certificat, vous êtes en dehors de tous les préjugés qui parlent de déforestation (…), c’est réel, c’est un enjeu".
Et Kouamé Benjamin Franklin assure qu’aucune fève ne provient de forêts classées: "Je peux vous l’affirmer pour la bonne raison que toutes nos parcelles sont géolocalisées, référencées et identifiées", dit-t-il.
"Les règles ne sont pas si strictes que ça"
Les spécialistes du secteur relèvent cependant que tout n’est pas aussi simple - que ce soit pour la réhabilitation du couvert forestier (aussi appelée agroforesterie) ou pour la traçabilité des fèves. Aujourd'hui encore, le chocolat "vert" et "certifié" est davantage un fantasme qu’une réalité, relève l’un des plus grands spécialistes de la filière, l’agronome François Ruf.
Entre deux villages où il rencontre régulièrement les planteurs ivoiriens, il porte un regard acerbe sur ces processus de certification. "D'abord les règles ne sont pas si strictes que ça", souligne-t-il. "Et même quand elles le sont, il y a une espèce de laisser-faire et de complaisance parce qu'elles sont surtout invérifiables".
Un "zéro pointé" pour le label Rainforest
François Ruf prend l'exemple de l'agroforesterie: "Au départ, l'alliance Rainforest voulait transposer ses règles pour le café au Costa Rica sur le cacao. Ils fixaient [un minimum de] 25 arbres [d'ombrage permanent au-dessus des cacaoyers] par hectare", relève-t-il. "Mais en Côte d'Ivoire, il n'y a pas deux des cinq millions de tonnes qui sortent de plantations ayant 25 arbres à l'hectare".
Et pour être sûr de ne pas être pris en faux en cas d'audit, le label a décidé que tous les arbustes compteraient comme arbres. "Mais c'est complètement faux", s'insurge François Ruf. "Donc, sur 10-15 ans, la certification a un zéro pointé. Ils éditent des règles qui sont soit invérifiables soit déjà remplies par les planteurs".
Limite de tonnage pour le cacao certifié
Un autre dysfonctionnement observé dans le secteur de la fève de cacao certifiée est le non-respect des primes censées être accordées aux planteurs concernés.
"On nous dit que le cacao que nous allons cueillir ne rentre pas dans la certification, que c'est fini, que la certification est arrêtée", explique Richmond Aka Konan, planteur et propriétaire de cinq hectares de cacao près de Tiassalé dans le centre du pays. "Ils nous expliquent que le bailleur fixe une limite de tonnage. Et donc une fois qu'ils l'ont atteinte, c'est fini".
A peine 6% du prix d'une plaque revient au cultivateur
En Côte d’Ivoire comme au Ghana, les deux principaux pays producteurs de cacao, plus de la moitié des petits cultivateurs vivent sous le seuil de pauvreté. En Suisse, seuls 6% du prix d'une plaque de chocolat classique revient aux planteurs de cacaoyers.
François Hume-Ferkatadji/oang