Les "midterms", des élections cruciales pour la démocratie américaine
Aux Etats-Unis, les élections de mi-mandat se tiendront le 8 novembre prochain. La campagne est marquée par un contexte politique tendu, que certains considèrent comme un danger pour le modèle démocratique du pays. Des journalistes de la RTS se sont plongés cette semaine dans plusieurs campagnes politiques à travers cinq Etats américains afin de mieux saisir les enjeux de ces "midterms", qui pourraient faire basculer le Congrès du côté républicain.
Sujets radio: Jordan Davis et Cédric Guigon Adaptation web: Isabel Ares
Wisconsin
Un "gerrymandering" important
Dans l'Etat du Wisconsin, les démocrates et les républicains se partagent les voix des électrices et électeurs. Mais la façon dont les républicains dessinent la carte électorale prive les démocrates d'être représentés à la hauteur de leur force électorale.
Ce phénomène, appelé le "gerrymandering", consiste au redécoupage des circonscriptions électorales au profit d'un parti, en fonction du lieu où habitent les électeurs et électrices, pour en englober le plus possible.
Dans la plupart des Etats, tous les dix ans après le recensement de la population, la carte des circonscriptions est redessinée par les partis et les politiciens au pouvoir. Démocrates et républicains ont tendance à manipuler les cartes pour s'arroger un maximum de sièges qu'ils sont sûrs de gagner.
Cette singularité américaine pourrait finir par influencer tout le pays. Mais le "gerrymandering" dans le Wisconsin, Etat-clé des présidentielles américaines, reste unique de par son ampleur. Selon John Johnson, chercheur à la faculté de droit de l'Université Marquette, le jeu politique y est tellement figé que les élus au Parlement ne perdent quasiment jamais une élection.
Lors des élections de mi-mandat, la population américaine renouvellera une grande partie du Congrès. Avec un âge moyen de 59 ans, soit dix de plus que le Parlement suisse, il n'a jamais été aussi âgé. Aux Etats-Unis, certains parlent de gérontocratie: un gouvernement de vieux, déconnecté de la population.
A l'approche des "midterms", le débat sur l'âge en politique fait rage dans l'Etat de l'Iowa. Et un clivage générationnel se dessine: "Quand on voit des membres du Congrès qui ont 60, 70 ou 80 ans, il est dur de ressentir en tant que jeune qu'il y a une voix qui nous représente", rapporte Gregory Christensen, qui préside à 30 ans la section démocrate de sa circonscription autour de Des Moines, la capitale de l'Etat.
Pour d'autres, l'âge a ses avantages. "Quand vous êtes au service du public, vous ne savez pas quelle crise vous attend. Je crois qu'il faut avoir une certaine sagesse. Or, la sagesse vient avec les expériences et les erreurs que l'on commet", estime de son côté Andy McGuire, ex-dirigeante du parti démocrate de l'Iowa et ancienne candidate au poste de gouverneure.
Floride
La communauté LGBT+ attaquée dans l'éducation
En Floride, le gouverneur Ron DeSantis, potentiel candidat à la présidentielle de 2024, a mis l'éducation au coeur de sa campagne de réélection. Le politicien, qui se construit un profil national, accuse notamment l'école d'endoctriner et de sexualiser les enfants.
Ses détracteurs critiquent quant à eux une politisation de l'instruction publique. "Nous avons reçu des menaces. On nous traite d'abuseurs d'enfants", témoigne Kaitlyn, mère d'une enfant transgenre.
A Orlando, une commission élaborant des instructions pour les écoles publiques - et dont les commissaires sont nommés par Ron DeSantis - a approuvé une directive qui oblige les écoles à informer les parents lorsqu'un enfant se rend dans des toilettes ou des vestiaires qui ne correspondent pas à son sexe de naissance.
Cette commission cherche à mettre en application une loi signée en mars dernier par le gouverneur, qui interdit toute discussion sur des sujets en lien avec l'orientation sexuelle ou l'identité de genre jusqu'à la troisième année de l'école primaire. Lors de la signature, Ron DeSantis avait évoqué une loi devant permettre de combattre l'"idéologie woke" qui a "infiltré" les programmes scolaires.
Michigan
Mobilisation autour du droit à l'avortement
Depuis la décision historique de la Cour suprême d’abroger le droit fédéral à l’avortement, les Etats doivent se prononcer individuellement sur la question. Le Michigan a choisi de fixer le vote de son référendum sur le droit à l'avortement dans l'Etat au même moment que les élections de mi-mandat.
Les démocrates s'attellent à faire campagne pour défendre le référendum. "Il y a des moments où nous devons nous rendre compte de ce qui est vulnérable, que la lumière peut s'éteindre", affirme Sarah Anthony, députée à la Chambre des représentants du Michigan.
"La décision de la Cour suprême a été un cri de ralliement pour beaucoup de monde. Les conséquences sont malheureuses, mais cela aura permis de réveiller le parti", ajoute-t-elle. L'enjeu pour le parti démocrate sera de dépasser le clivage partisan sur la question de l'avortement dans cet Etat très partagé.
Du côté républicain, le parti se positionne contre l'avortement, mais ses candidats adoptent des positions personnelles parfois plus nuancées, au gré d’un électorat majoritairement favorable au droit à l'IVG. L'Eglise catholique se revendique non partisane, or c'est elle qui prend les positions les plus radicales contre l'avortement.
Comme dans le Michigan, les électeurs et électrices de quatre autres Etats voteront le 8 novembre sur cette question.
Arizona
Le système démocratique mis à mal
Deux tiers de l'électorat républicain aux Etats-Unis continue de penser aujourd'hui que l'élection présidentielle de 2020 a été volée. Deux ans après, il s'agit même d'un thème central dans la campagne.
Dans l'Arizona, les têtes d'affiche conservatrices, qui répandent des théories complotistes, pourraient bien prendre la main sur l'organisation des futurs scrutins. La candidate au poste de gouverneure de l'Etat Kari Lake est surnommée la première dame du trumpisme. Elle copie notamment son mentor Donald Trump en refusant de déclarer clairement si elle concédera une éventuelle défaite.
Le "vol" de la présidentielle de 2020 est un pilier de sa campagne. La candidate avance sans preuves la thèse de quelque 700'000 bulletins non sécurisés, donc potentiellement trafiqués, à Phoenix. Elle fustige les journalistes de ne pas vérifier les faits. Pourtant, peu d'élections ont été autant scrutées que celle de l'Arizona en 2020.
Dans la plupart des Etats américains, l'électorat choisit directement qui compte et certifie les votes lors des élections présidentielles. Dans l'Arizona, le candidat républicain au poste de secrétaire d'Etat - la personne responsable des élections - Mark Finchem se dit membre de la milice d'extrême droite Oath Keepers qui a participé à l'attaque du Capitole le 6 janvier 2021. Il a notamment déclaré lors d'un débat télévisé qu'il aurait invalidé les résultats des deux comtés les plus peuplés et démocrates lors de l'élection présidentielle de 2020, car le vote était compromis.
"Nous avons toujours eu des personnes honorables et intègres à ces postes. Mais désormais, il y a un autre type de candidats, politiquement motivés. C'est nouveau et dangereux", alerte de son côté le candidat démocrate Adrian Fontes, pour qui cette élection révèle la fragilité du système démocratique américain.
Selon les derniers sondages, ces deux visions de la démocratie sont au coude-à-coude pour les "midterms". Le résultat de l'Arizona le 8 novembre prochain est d'autant plus scruté que l'Etat risque de jouer un rôle décisif lors de la prochaine élection présidentielle.
Les témoins des élections
Deux ans après la présidentielle
La RTS avait suivi plusieurs Américains et Américaines lors de la campagne présidentielle de 2020 aux Etats-Unis. Elle les a retrouvé à quelques jours des élections de mi-mandat.
Linda Ruvalcaba, psychothérapeute basée dans l'Arizona, est une démocrate convaincue. Elle assure qu'elle ira voter pour contrer l'extrémisme du camp républicain.
>> Le témoignage
de Linda Ruvalcaba
dans le 12h30:
En Caroline du Nord, Scott Hagan était un fervent défenseur de Donald Trump en 2020. Mais depuis les émeutes au Capitole et l'implication de l'ancien président, cet ex-militaire, qui travaille aujourd'hui pour un lobby de vétérans conservateurs dans l'Etat du Montana, s'est repenti.
Scott Hagan est néanmoins resté républicain. Le gouverneur de Floride Ron DeSantis est devenu son nouveau champion.
>> Le témoignage
de Scott H
agan dans le 12h30:
De son côté, Felicia Davis, militante afro-américaine démocrate, s'attelle à mobiliser l'électorat noir en Géorgie afin d'élire des "candidats qui ont des principes et de l'intégrité".
Depuis la dernière présidentielle, elle a notamment multiplié les visites à Washington pour militer en faveur d'une loi fédérale protégeant l'accès au vote contre des mesures restrictives.
>> Le témoignage
de Felicia Davis
dans le 12h30:
Tim Jones est quant à lui fermier dans l'Iowa et républicain. La situation économique aux Etats-Unis lui procure des angoisses. A cause de l'inflation, les fertilisants sont 32% plus chers que l'année dernière. Les prix de l'essence ont aussi explosé.
A l'approche des "midterms", Tim Jones n'est pas très optimiste. Il compte sur son camp pour reprendre en main le Congrès.
En Californie du Sud, la francophile Jane Edelman est toujours engagée dans le club démocrate local de la ville de Laguna Niguel, notamment dans le porte-à-porte. Elle ne cache pas sa déception lorsqu'elle constate que les enjeux qui lui tiennent à coeur ne sont pas toujours prioritaires pour les électeurs et électrices qu'elle rencontre.
Pour elle, la démocratie est en jeu cette année. A 80 ans, elle affirme qu'elle continuera à arpenter les rues de son quartier et à frapper aux portes jusqu'au 8 novembre.