Le Brésil était plus que jamais coupé en deux, à l'occasion du deuxième tour de l'élection présidentielle. Les réseaux sociaux ont charrié des torrents de désinformation et les candidats se sont insultés copieusement devant des dizaines de millions de téléspectateurs.
Des Brésiliens et Brésiliennes souvent pressés "qu'on en finisse" se sont rendus aux urnes dès 08h00 locales (12h00 en Suisse) dans ce pays aux dimensions continentales.
Les bureaux de vote ont fermé à 17h00 (21h00 heure suisse) et le Brésil retient depuis son souffle dans l'attente du nom du vainqueur, entre le président sortant d'extrême droite Jair Bolsonaro et l'ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, le favori.
Un résultat sans doute très serré
Si les sondages prédisent depuis des mois un 3e mandat de quatre ans à l'ex-chef d'Etat de gauche Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), le président d'extrême droite Jair Bolsonaro peut encore y croire après son score inattendu du 1er tour du 2 octobre (lire encadré).
Le chef de l'Etat sortant, auquel les sondages avaient donné une douzaine de points de retard, a bénéficié d'une dynamique dans l'entre-deux tours quand la gauche semblait, elle, un peu sonnée.
"C'est bien plus serré que quiconque l'aurait cru", a dit à l'AFP le rédacteur en chef du média Americas Quarterly. "Cela va être une élection pleine de confusion", a ajouté Brian Winter.
Jair Bolsonaro peut-il accepter la défaite?
La grande inconnue, au-delà du verdict des urnes, est de savoir si Jair Bolsonaro acceptera le résultat en cas de défaite.
Après avoir mis en sourdine ses attaques incessantes contre le système "frauduleux" des urnes électroniques, il a récemment dénoncé des irrégularités présumées dans la diffusion des spots radio de sa campagne.
"Bolsonaro va remettre en question le résultat", estime Rogerio Dultra dos Santos, de l'Université fédérale de Fluminense à Rio.
Le spectre d'un "remake" du Capitole
Beaucoup craignent une réplique brésilienne de l'assaut du Capitole après la défaite de Donald Trump. Elle pourrait viser par exemple la Cour suprême si souvent vilipendée par Jair Bolsonaro.
L'ex-capitaine peut compter sur "l'appui de ses électeurs les plus radicalisés (...) et provoquer des troubles", selon l'analyste. Mais Rogerio Dultra dos Santos voit mal les forces armées se lancer dans une aventure golpiste et souligne que les institutions démocratiques sont solides.
Lula, ancien métallurgiste au destin hors norme, a espéré pour sa part que le président sortant "aura un moment de sagesse" et lui téléphonera s'il gagne "pour reconnaître le résultat".
Une campagne balisée par la désinformation
La campagne a pourtant été tout sauf "sage". S'accusant mutuellement de mentir, Jair Bolsonaro et, dans une moindre mesure, Lula, ont alimenté la machine à désinformation, qui a fonctionné comme jamais au Brésil.
>> Lire : Ultime débat à couteaux tirés entre Lula et Jair Bolsonaro au Brésil
Les réseaux sociaux, unique source d'information de la majorité des 170 millions d'utilisateurs brésiliens, ont véhiculé une masse inédite de fausses informations.
Avec cette "sale campagne", les véritables préoccupations de la population ont été négligées: inflation, chômage, pauvreté ou faim, dont souffrent 33 millions de Brésiliens.
L'enjeu majeur de l'entre-deux tours a été la chasse aux 32 millions d'abstentionnistes du 1er tour (21%). A titre de comparaison, Lula a obtenu six millions de voix d'avance le 2 octobre.
Deux projets de société radicalement différents
L'ancien chef de l'Etat veut protéger la démocratie et rendre "le Brésil heureux" de nouveau, après deux mandats où il a extrait près de 30 millions de Brésiliens de la pauvreté mais où l'économie était florissante.
Le populiste Jair Bolsonaro, quant à lui, veut défendre "le bien contre le mal", la famille, Dieu, la patrie et la liberté individuelle. Malgré un mandat émaillé de crises graves dont celle du Covid, il conserve un socle de partisans irréductibles et a su imposer sa ligne politique face à une gauche peu audible et à une droite traditionnelle qui a sombré.
S'il est élu, Lula, figure-clé de la politique brésilienne depuis quatre décennies, fera un come-back spectaculaire après avoir connu la disgrâce de la prison (2018-2019) puis l'annulation de ses condamnations pour corruption.
Il est le favori des femmes, des pauvres, des catholiques et du Nord-est rural. Mais les hommes, les classes aisées, les proarmes, les milieux d'affaires et les évangéliques votent majoritairement Bolsonaro.
Un Parlement encore plus à droite
Le prochain locataire du Palais du Planalto à Brasilia devra composer avec un Parlement encore plus à droite qu'avant les législatives du 2 octobre: le Parti libéral (PL) de Bolsonaro est représenté en force.
Le nom du nouveau président devait être officialisé avant 20h00 locales (minuit heure suisse). Les premières estimations devraient quant à elles être favorables au candidat de l'extrême droite avec le dépouillement en premier des Etats du sud du pays, avant ceux du nord, soutiens de Lula.
agences/oang
Ecart encore resserré dans le dernier sondage
L'avance de l'ancien chef d'Etat de gauche Lula sur le président sortant d'extrême droite Jair Bolsonaro s'est réduite à quatre points, selon un sondage publié par Datafolha samedi.
Lula devrait être élu avec 52% des votes exprimés contre 48% à Jair Bolsonaro, selon l'institut de référence qui accordait un avantage de six points à Lula dans son précédent sondage jeudi.
Plus de 8300 personnes ont été interrogées sur deux jours, vendredi et ce samedi, pour cet ultime sondage qui comporte une marge d'erreur de +/- 2 points de pourcentage et promet donc un résultat serré.
Un centriste et un général comme colistiers
Les candidats à la vice-présidence du Brésil ont eux aussi des profils diamétralement opposés, dans l'ombre des aspirants à la fonction suprême.
L'ex-président de gauche a choisi le technocrate centriste Geraldo Alckmin, 69 ans, comme colistier. Lula justifie ce choix, jugé "contre-nature" par certains, en assurant que le temps est venu de l'union sacrée en défense de la démocratie.
Geraldo Alckmin a acquis une réputation de solide gestionnaire au fil de ses quatre mandats de gouverneur de Sao Paulo (2001-2006 et 2011-2018), de quoi rassurer les milieux d'affaires.
Le chef de l'Etat sortant, lui, a opté de son côté pour un général de la "ligne dure" et homme de confiance. Jair Bolsonaro avait placé Walter Braga Netto à des postes stratégiques de son gouvernement avant de le lancer dans la course électorale.
Ce militaire de 65 ans est considéré comme un bolsonariste pur et dur. Fin mars 2021, juste après sa nomination au ministère de la Défense, il avait mis le feu aux poudres en affirmant que le coup d'Etat militaire de 1964 devait être "célébré" comme un "mouvement" ayant permis de "pacifier" le pays.