Icône insubmersible de la gauche latino-américaine, Luiz Inacio Lula da Silva va retrouver le palais présidentiel de Brasilia le 1er janvier. A sa libération, l'ancien chef d'Etat avait dit vouloir "sauver" le Brésil du "projet de haine" du président d'extrême droite sortant, Jair Bolsonaro.
C'est désormais mission accomplie pour le tribun charismatique à la voix rauque. Mais la victoire a été plus compliquée que prévu et le nouvel élu, qui a dirigé le pays lors de deux mandats, de 2003 à 2010, hérite d'un pays divisé.
>> Lire : Lula remporte de justesse la présidentielle au Brésil face à Bolsonaro
Ce come-back n'en est pas moins une première dans le Brésil post-dictature. Il signe aussi la victoire de la démocratie, ce que n'ont pas manqué de souligner les leaders du monde entier, qui se sont empressés de saluer le résultat des élections.
Condamné pour corruption
Populaire à l'étranger, Lula reste perçu comme "près du peuple" au Brésil où il est toujours très aimé, surtout dans les régions pauvres du Nord-Est, son fief historique. Mais il est aussi détesté par une partie des Brésiliens pour lesquels il incarne à tout jamais la corruption.
Condamné dans le plus grand scandale de l'histoire du Brésil, "Lavage express", le chef de file du Parti des Travailleurs (PT) s'est toujours dit victime d'un complot politique qui a permis à Bolsonaro d'être élu à la présidence en 2018 alors qu'il en était le grand favori.
C'est toutefois de prison que Lula a assisté au succès de son rival, incarcéré 580 jours, d'avril 2018 à novembre 2019. Jair Bolsonaro, qui avait beaucoup joué sur la haine du PT pour être élu en 2018, n'a d'ailleurs jamais cessé de le traiter de "voleur" et d'"ex-prisonnier" lors de leurs débats et cela malgré l'annulation ou la prescription par la Cour suprême des condamnations à l'encontre de Lula.
Une enfance dans la misère
Cette décision intervenue en mars 2021 est celle qui lui a permis de prendre sa revanche, lui permettant de recouvrer ses droits politiques, sans l'innocenter pour autant. Pour le Comité des droits de l'Homme de l'ONU, l'enquête et les poursuites engagées contre Lula avaient violé son droit à être jugé par un tribunal impartial.
Rien ne prédisposait Lula à un tel destin. Cadet d'une fratrie de huit enfants, il est né le 27 octobre 1945 dans une famille d'agriculteurs pauvres du Pernambouc, dans le nord-est du Brésil.
Enfant, Lula était cireur de chaussures. Il a sept ans lorsque sa famille déménage à Sao Paulo pour échapper à la misère. Vendeur ambulant puis ouvrier métallurgiste à 14 ans, il perd l'auriculaire gauche dans un accident de travail. A 21 ans, il entre au syndicat des métallurgistes et conduit les grandes grèves de la fin des années 1970, en pleine dictature militaire (1964-1985).
Ambitieux programmes sociaux
Cofondateur du PT au début des années 1980, il se présente pour la première fois à l'élection présidentielle en 1989 et échoue de peu.
Après deux nouveaux échecs, en 1994 et en 1998, la quatrième tentative sera la bonne, en octobre 2002. Il est réélu en 2006.
Premier chef de l'Etat brésilien issu de la classe ouvrière, il a mis en oeuvre d'ambitieux programmes sociaux, grâce aux années de croissance portées par le boom des matières premières. Sous ses deux mandats, près de 30 millions de Brésiliens sont sortis de la misère.
Lula a aussi incarné un pays qui s'ouvrait sur le monde, et a conféré au Brésil une stature internationale avec, notamment, le Mondial de football (2014) et les jeux Olympiques (2016) à Rio de Janeiro.
Idéaliste mais pragmatique, Lula est passé maître dans l'art de tisser des alliances parfois contre nature. Pour cette présidentielle, son colistier est un technocrate centriste à même de rassurer les milieux économiques: Geraldo Alckmin, son adversaire lors de précédents scrutins.
Le cancer et un nouvel amour
En mars 2016, sa tentative de retour aux affaires en tant que ministre de sa dauphine, Dilma Rousseff, avait été un échec cuisant, tout comme la destitution de celle-ci en août.
L'ex-président, qui a souffert d'un cancer du larynx en octobre 2011, a subi en février 2017 une épreuve intime avec la mort de son épouse Marisa Leticia Rocco. Mais Lula a retrouvé un nouvel amour, Rosangela da Silva, surnommée "Janja", une sociologue militante du PT, de 21 ans sa cadette, qu'il a épousée en mai. "Je suis amoureux d'elle comme si j'avais 20 ans" a-t-il dit de celle qui a pris une part active à sa campagne.
Aujourd'hui, 12 ans après avoir quitté le pouvoir, Lula revient avec une ambition simple: rendre "le Brésil heureux de nouveau". Un programme qui pourrait s'avérer plus compliqué que prévu.
>> Lire aussi : Frédéric Louault: "La marge de manoeuvre de Lula sera très limitée"
jgal avec afp
Jair Bolsonaro ne s'exprimera pas avant mardi
Le président brésilien sortant, Jair Bolsonaro, ne s'exprimera pas publiquement avant mardi sur l'élection présidentielle remportée par son adversaire de gauche Luis Inacio Lula da Silva, a déclaré lundi le ministre des Communications.
Fabio Faria, a indiqué à Reuters que Jair Bolsonaro avait décidé de ne pas s'exprimer afin de pouvoir retourner à sa résidence lundi soir et préparer un discours.
Claudio Cajado, chef de file de l'un des partis qui l'ont soutenu, avait auparavant déclaré qu'il s'adresserait à la nation lundi, ajoutant qu'il n'était pas certain que Jair Bolsonaro reconnaisse publiquement sa défaite.
Le président sortant a passé la journée de lundi au palais présidentiel sans apparaître en public.
Il a exprimé à plusieurs reprises des soupçons de fraude électorale et l'an dernier, il avait évoqué la possibilité de refuser d'accepter les résultats du scrutin en cas de défaite.
Son fils aîné, le sénateur Flavio Bolsonaro, a remercié sur Twitter les partisans de son père et a déclaré : "Levons la tête et n'abandonnons pas notre Brésil ! Dieu est aux commandes!"