Après la politique des ports fermés, l'Italie a inauguré ce week-end une nouvelle approche: les débarquements au compte-gouttes. Samedi soir, seules les personnes mineures et celles ayant des problèmes médicaux ont pu quitter Humanity 1, un navire allemand, dans le port de Catane, en Sicile. Trente-cinq autres ont dû rester à bord.
Dimanche, le Geo Barrents, de l'ONG Médecins sans frontières, battant pavillon norvégien, a subi le même traitement: seuls les plus jeunes, les familles et les malades ont obtenu le feu vert des autorités italiennes pour mettre le pied à terre.
Deux autres navires humanitaires, le Rise Above, de l'ONG Mission Lifetime, également sous pavillon allemand, et l'Ocean Viking, de SOS Méditerranée, enregistré en Norvège, restaient lundi en attente d'un port où amarrer, malgré des demandes répétées.
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De la parole aux actes
Le gouvernement d'extrême droite italien, qui a prêté serment le mois dernier, s'était engagé à sévir contre les migrants par bateau venant d'Afrique du Nord vers l'Europe. Il n'aura pas attendu pour passer de la parole aux actes.
"Ce qui est navrant, c'est le caractère discriminatoire de la politique mise en place par le gouvernement de Giorgia Meloni qui va bien sûr à l'encontre du droit international", commente le professeur Vincent Chetail, directeur du centre des migrations globales à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève.
D'une part, les personnes à bord des navires n'ont pas la possibilité de déposer une demande d'asile comme elles en auraient le droit. De l'autre, l'incertitude demeure quant à leur sort.
"Si les naufragés restants sont rejetés, nous contesterons cette décision devant toutes les instances appropriées", a déclaré sur Twitter un député de l'opposition Aboubakar Soumahoro, présent lors du débarquement de l'Humanity 1.
Prise en charge disputée
"Ceux qui restent dans le navire recevront l'assistance nécessaire pour quitter les eaux territoriales" italiennes, ont affirmé dimanche des sources proches du ministre des Transports et dirigeant populiste de la Ligue antimigrants Matteo Salvini, dont dépendent les ports.
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Le ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi avait déclaré samedi que le gouvernement ne ferait pas marche arrière quant à ses obligations humanitaires mais que ceux qui ne sont pas "qualifiés" devraient être pris en charge par l'Etat du pavillon du navire. De quoi faire réagir le chef du Parti démocrate italien, Enrico Letta, qui a accusé sur Twitter le gouvernement de violer les traités internationaux.
On ne peut plus continuer à parler de flux pour les Africains alors qu'on parle d'hospitalité pour les Ukrainiens
A l'étranger, le ministère norvégien des Affaires étrangères avait déjà prévenu jeudi qu'il n'assumait "aucune responsabilité" pour les personnes secourues par des navires privés battant pavillon norvégien en Méditerranée.
Quant à l'Allemagne, elle a insisté, dans une "note" diplomatique adressée à l'Italie, sur le fait que les organisations caritatives "apportaient une contribution importante au sauvetage de vies humaines" et a demandé à Rome "de les aider dès que possible".
Silence européen
"Aujourd'hui, la question migratoire est politisée à outrance en Italie, mais ce qui doit surtout frapper, c'est l'absence de l'Europe. Chaque Etat joue son propre jeu alors que la question des réfugiés est une responsabilité collective", relève le professeur Vincent Chetail.
"On est en train d'accueillir des millions d'Ukrainiens, ce qui est très bien, et on met sous les projecteurs quelques dizaines de milliers de personnes qui ont pour la plupart besoin de protection autant que les Ukrainiens. Cela tourne à la farce", estime-t-il.
Après une diminution liée à la pandémie, les arrivées de migrants remontent cette année, selon les données du Haut-commissariat des réfugiés (HCR). Avec plus de 86'000 arrivées depuis le début de l'année, dont 14% par la mer, l'Italie reste la principale porte d'entrée vers l'Union européenne, devant l'Espagne (27'970) et la Grèce (13'043).
Face à ces arrivées, qui, hormis la crise de 2015, restent plutôt stables, l'Union européenne mise sur une politique de "pull-back", autrement dit elle se mêle le moins possible de ce qui se passe hors de ses frontières, frontières qu'elle a renforcées. Elle encourage aussi, notamment par le biais d'un accord entre l'Italie et la Libye, les interceptions en amont des eaux internationales.
Les gardes-côtes libyens, en partie financés par l'UE et des Etats-membres, ont ainsi intercepté 42% des personnes ayant tenté la traversée, selon des données de l'Organisation internationale pour les migrations. Elles sont ensuite ramenées en Libye, pays en guerre, dirigé par des clans, où elles sont souvent maltraitées.
"Cette débauche d'énergie et de moyens en dit long sur l'hystérie européenne", estime Vincent Chetail. Car l'exode des Ukrainiens, le plus grand contingent de réfugiés en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale, a démontré qu'il était possible d'offrir un statut de protection temporaire, sans déclencher - au moins à moyen terme - un tsunami d'effets néfastes sur les sociétés d'accueil.
Juliette Galeazzi