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La menace de la peine de mort plane sur les manifestations en Iran

Des manifestants tiennent des photos de Mahsa Amini, les mains peintes en rouge, lors d'une manifestation devant le consulat d'Iran à Istanbul, en Turquie, le 17 octobre 2022. [KEYSTONE - Sedat Suna / EPA]
Des manifestants tiennent des photos de Mahsa Amini, les mains peintes en rouge, lors d'une manifestation devant le consulat d'Iran à Istanbul, en Turquie, le 17 octobre 2022. - [KEYSTONE - Sedat Suna / EPA]
Alors que cinq personnes impliquées dans les manifestations en Iran ont été condamnées à mort depuis dimanche, une fausse information, relayée par des célébrités et des gouvernements, circule sur les réseaux sociaux affirmant que 15'000 détenus iraniens ont reçu cette sentence. Le point sur le sort des manifestants iraniens.

L'Iran est le théâtre de manifestations depuis la mort, il y a deux mois, de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans arrêtée pour infraction au code vestimentaire strict qui oblige les femmes à porter le voile islamique en public. Depuis, les mobilisations pour dénoncer la violence à l'égard des femmes, et plus généralement le régime iranien, ont pris de l'ampleur, avec un écho international important.

Les autorités iraniennes dénoncent des "émeutes" instrumentalisés par des puissances étrangères et répriment violemment la vague de contestations, alors que les actions de protestation ne montrent aucun signe d'apaisement malgré cette répression. Selon un bilan établi mercredi par l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, au moins 342 manifestantes et manifestants ont été tués par les forces de l'ordre.

>> Lire aussi : Au moins 326 manifestants tués en Iran depuis le début de la répression

Une campagne d'arrestations massives incluant des militants, des journalistes et des avocats a aussi été lancée. L'agence de presse Human Rights Activists (HRA) estimait mercredi le nombre de manifestants détenus en Iran à 15'915.

Une fausse information devenue virale

Ce dernier chiffre, arrondi à 15'000, circule sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Des publications sur Instagram et Twitter, désormais virales, affirment que 15'000 manifestants ont été condamnés à mort en Iran, en guise de "leçon", et annoncent une exécution imminente.

Des célébrités telles que le musicien Peter Frampton ou les actrices Sophie Turner et Viola Davis ont relayé cette fausse information sur leurs comptes. Mercredi, ces publications avaient été supprimées.

Capture d'écran de la publication de l'actrice américaine Viola Davis sur son compte Instagram. [Perma.cc]
Capture d'écran de la publication de l'actrice américaine Viola Davis sur son compte Instagram. [Perma.cc]

Des journalistes de plusieurs médias, ainsi que des politiciens ont également participé à répandre cette rumeur en la commentant. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a par exemple affiché son soutien à "ces courageux Iraniens" qui se battent "pour leurs droits fondamentaux".

"Le Canada dénonce la décision barbare du régime iranien d'imposer la peine de mort à près de 15'000 manifestants", a-t-il écrit sur son compte Twitter, avant que la publication ne soit supprimée.

Capture d'écran du tweet du Premier ministre canadien Justin Trudeau supprimé. [Middle East Eye]
Capture d'écran du tweet du Premier ministre canadien Justin Trudeau supprimé. [Middle East Eye]

Selon le quotidien Libération, l'information a aussi été reprise en France par l'économiste Jacques Attali et l'eurodéputée écologiste Karima Delli, pour qui "le Parlement iranien vient d'autoriser l'exécution de 15'000 manifestants et manifestantes anti-hijab".

Une confusion à l'origine de la rumeur

La rumeur semble provenir d'une confusion avec, d'une part, le décompte des Iraniennes et Iraniens détenus lors des manifestations dans le pays, qui s'élève à près de 16'000 personnes selon une estimation de l'agence HRA, et d'autre part, la diffusion dans la presse d'Etat iranienne d'une lettre signée par 227 des 290 élus du Parlement, demandant à "tous les responsables de l'État, y compris le pouvoir judiciaire, de traiter comme les [terroristes] de Daech ceux qui ont mené la guerre" contre le pouvoir en place, "d'une manière qui servirait de bonne leçon, dans les plus brefs délais".

Cette dernière information a notamment été reprise par le site américain Newsweek, qui affirmait - le média a depuis modifié son article - que le Parlement iranien avait voté en faveur de l'exécution des 15'000 manifestants arrêtés. Or, la lettre ne fait pas explicitement mention de la peine de mort. Il s'agit par ailleurs d'une demande adressée à la justice, et non d'un vote, qui ne constitue pas une action contraignante.

La fausse information massivement relayée sur internet repose donc sur un raccourci. La lettre des parlementaires iraniens a néanmoins suscité de vives inquiétudes auprès des ONG et de la communauté internationale. Bien que la demande ne constitue pas une condamnation réelle, les experts du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies ont qualifié dans un communiqué la tentative d'influencer les tribunaux de "violation flagrante de la séparation des pouvoirs".

Des "exécutions de masse" redoutées

La crainte que les condamnations à mort se multiplient pour les détenus ayant participé à des manifestations est, elle, bien réelle. L'ONU a alerté sur le sort de huit personnes inculpées d'infractions passibles de la peine capitale. Iran Human Rights redoute de son côté une tendance à l'application de peines rapides et sévères, sans procédure équitable.

"Des éléments indiquent que les autorités de la République islamique prévoient peut-être de procéder à des exécutions hâtives. Au moins 20 manifestants font actuellement l'objet d'accusations punissables de mort selon les rapports officiels", écrivait lundi l'ONG sur son site.

"Les manifestants n'ont pas accès à des avocats lors des interrogatoires, ils sont soumis à de la torture physique et psychologique pour qu'ils fassent de faux aveux, et sont condamnés sur la base de ces aveux par des tribunaux révolutionnaires", a également indiqué à l'AFP son directeur Mahmood Amiry-Moghaddam, qui dit craindre "des exécutions de masse".

>> Revoir l'interview dans Forum de Mahnaz Shirali,

sociologue à Sciences Po Paris d'origine iranienne

, sur le risque de peine de mort pour les manifestants en Iran:

La peine de mort pour les manifestants en Iran: interview de Mahnaz Shirali
La peine de mort pour les manifestants en Iran: interview de Mahnaz Shirali / Forum / 4 min. / le 11 novembre 2022

Déjà cinq condamnations à mort

La justice iranienne a infligé mercredi la peine capitale à trois nouvelles personnes inculpées pour leur implication dans les manifestations, a affirmé l'agence de l'Autorité judiciaire Mizan Online, portant à un total de cinq le nombre de condamnations à mort depuis dimanche. Sur ces trois manifestants condamnés, l'un a foncé sur des policiers avec sa voiture, tuant l'un d'eux, le deuxième a blessé un garde de sécurité avec une arme blanche et le troisième a tenté de bloquer la circulation et "semer la terreur", selon les actes d'accusation.

Dimanche, un tribunal de Téhéran avait déjà condamné à mort une personne jugée coupable "d'avoir incendié un bâtiment gouvernemental, de trouble à l'ordre public, de rassemblement et conspiration en vue de commettre un crime contre la sécurité nationale, d'être un ennemi de Dieu et de corruption sur Terre".

Cinq autres personnes avaient également été sanctionnées par des peines de cinq à 10 ans de prison pour "rassemblement et conspiration en vue de commettre des crimes contre la sécurité nationale et trouble à l'ordre public".

Dans le cadre du même procès, un tribunal révolutionnaire a condamné à mort une autre personne accusée d'avoir "terrorisé des gens dans la rue en utilisant une arme blanche, d'avoir incendié la moto d'un citoyen et attaqué un individu avec un couteau", toujours selon Mizan Online. Le tribunal étant de première instance, les condamnés peuvent faire appel, précise l'agence.

iar avec les agences

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