Suzi LeVine, du Parti démocrate: "Dans cette élection, c'est la victoire de la modération!"
Aucun camp n'a écrasé l'autre. Les républicains viennent de décrocher leur 218e siège à la Chambre des représentants du Congrès. Ils en reprennent donc le contrôle, mais de justesse. Les démocrates gardent, eux, leur majorité très mince au Sénat.
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Le parti du président Joe Biden était annoncé perdant de ces élections. Il a, en définitive, égaré moins de plumes que prévu et a même réalisé des performances inattendues dans plusieurs Etats, par exemple en Pennsylvanie, où le démocrate John Fetterman a conquis le siège républicain au Sénat.
L'émission Tout Un Monde fait le bilan jeudi et vendredi sur les élections de mi-mandat aux Etats-Unis avec une personnalité de chaque parti. Ambassadrice des Etats-Unis en Suisse à la fin du dernier mandat de Barack Obama, Suzan "Suzi" LeVine est actuellement présidente adjointe des finances du Parti démocrate.
Tout Un Monde: Suzi LeVine, ces résultats vous étonnent-ils?
Suzi LeVine: Ils ne m'ont pas du tout surpris. Je connais bien les gros investissements qui ont été faits depuis 2017 pour améliorer l'infrastructure du Parti démocrate, son organisation et sa sécurité… et qui ont vraiment contribué à ce succès. Et je savais que cette année, nous pourrions aller frapper aux portes des gens et les rencontrer là où ils sont, contrairement à 2020, quand une grande partie de tout cela a été fait à partir de sous-sols, d'ordinateurs et de conférences Zoom. Et malgré ça, nous avions gagné en 2020.
Nous avons pu comprendre les sujets de préoccupation des électeurs
Donc, je savais que cette année nous allions vraiment dépasser les prédictions des experts et des sondeurs avec leurs modèles informatiques. Ils ne parlaient pas aux vraies personnes, sur le terrain. Des gens comme moi et d'autres l'ont fait. Nous avons pu comprendre les sujets de préoccupation des électeurs. Les démocrates ont vraiment l'avantage dans certains domaines-clés. Donc, personnellement, je n'ai pas été surprise et je suis ravie des résultats. Je pense qu'ils profiteront à tous les Américains. Et puis, notre démocratie a survécu!
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Les électeurs hispaniques et afro-américains se tournent un peu plus vers la droite, une tendance déjà observée lors des précédentes élections. Selon de nombreux analystes, les démocrates ont tendance à s'investir auprès de ces électorats en fin de campagne. Une fois l'élection terminée, le parti considère qu'ils sont acquis et ne s'en occupe pas assez. Que répondez-vous à cela?
C'était vrai avant. Mais depuis 2017, il y a eu beaucoup plus d'investissements, ce qui explique pourquoi nous avons enregistré des gains importants en 2018, ce qui explique aussi comment nous avons gagné en 2020 et comment nous avons réussi en 2022. Et ce n'est pas seulement parce que nous avons accordé plus d'attention aux populations que vous avez mentionnées.
C'est aussi plus d'attention pour l'intérieur de notre pays, des Etats comme le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et l'Ohio… sans oublier les jeunes! Nous venons d'enregistrer le deuxième plus fort taux de participation des jeunes lors d'une élection de mi-mandat. C'est donc très enthousiasmant par rapport à nos efforts d'engagement tout au long de l'année.
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Maintenant, nos opérations se tournent vers la Géorgie. Nous devons faire en sorte que le sénateur Warnock gagne le deuxième tour de l'élection. Nous devons concentrer toutes les ressources du pays vers la Géorgie.
Je tiens aussi à souligner qu'il y a, en Suisse, au moins 180 électeurs de Géorgie dont nous espérons qu'ils vont voter. A travers le monde, il y en a 6800. Nous espérons qu'ils vont se mobiliser pour cette élection très importante en Géorgie.
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Trois candidats démocrates à des postes de gouverneurs qui ont particulièrement bien réussi leur élection se sont mis en rupture avec le parti sur certains points. Par exemple: les restrictions pour le Covid, la criminalité, l'éducation ou encore les baisses d'impôts. Ce n'est pas fréquent depuis plusieurs années. Tendre la main aux rivaux politiques est-il le chemin de la réussite?
Ce qu'on a vu, dans cette élection, c'est la victoire de la modération! Que que ce soit dans le Colorado, en Pennsylvanie, dans le Kansas, le Michigan ou le Wisconsin – et même l'Arizona – l'électorat s'est exprimé pour protéger ses droits: le droit de choisir ce qu'il fait de son corps ou le droit de vote.
Tous les négationnistes de l'élection de 2020 qui se sont présentés ont perdu, ce qui est un très bon signe pour le pays. Ces personnes, qui auraient pu prendre le contrôle de notre processus électoral, avaient déclaré qu'elles installeraient Trump au pouvoir même s'il perdait l'élection en 2024. Mais tous ont échoué!
Ce qu’on a vu, dans cette élection, c’est la victoire de la modération!
Les citoyens et les électeurs américains ont exprimé leur besoin pour plus de civilité, plus de dialogue, plus de collaboration et de coordination. Je suis particulièrement heureuse de voir à quel point nos élus ont repris ce message et ont fait campagne sur ce message.
Oui, ces gouverneurs, ainsi que d'autres, sont dans une position unique pour rassembler parce qu'ils sont très proches de leurs électeurs. Ils les rencontrent, ils doivent équilibrer les budgets, ils mettent en oeuvre les décisions, ils gèrent ce qui touche très directement la vie quotidienne des gens.
Au sein des deux partis, certains courants se sont radicalisés ces dernières années. Assiste-t-on, désormais, à l'ouverture d'une nouvelle ère de coopération ou est-ce trop tôt pour le dire?
C'est trop tôt pour le dire. Je refuse aussi de parler des deux camps comme s'ils étaient équivalents. Je pense que lorsqu'un parti promeut très spécifiquement des politiques qui dégradent notre démocratie et qui vont contre nos droits humains, il n'y a pas d'équivalence. La manipulation des circonscriptions électorales effectuée en 2010 par les républicains avait brisé notre démocratie. Elle nous a fait passer d'une démocratie représentative à autre chose.
Les élections qui viennent de se tenir sur la base de nouvelles cartes plus justes ont contribué à redresser le cap. Je pense particulièrement au Michigan et à la Pennsylvanie, à ce qui se passe à l'échelle de ces Etats et à l'échelle de leurs représentations fédérales et je pense que ça nous met dans une meilleure direction.
J’espère que ces résultats pousseront le Parti républicain à faire un examen de conscience
Est-ce que ça ouvrira un meilleur dialogue et est-ce que le discours s'orientera plus en faveur du bipartisme? J'espère que oui. J'espère aussi que ces résultats pousseront le Parti républicain à faire un examen de conscience, qu'il rejettera l'extrémisme de son aile trumpiste qui l'a conduit sur le chemin de l'élimination de notre démocratie.
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La Suisse est une démocratie directe dans laquelle les initiatives citoyennes et les référendums sont vraiment un fondement institutionnel. Aux Etats-Unis, les initiatives qui ont été adoptées dans les 27 États américains qui pratiquent la démocratie directe vous donnent une bonne idée de ce que le peuple américain veut réellement, par opposition à ce que certains extrémistes de droite promeuvent.
Et ça inclut le droit des femmes à choisir. Il n'y a pas de place pour un politicien dans un cabinet médical: c'est une personne et son médecin. Nous devons suivre cet exemple.
Prenez les initiatives lancées dans tous les Etats-Unis ces dix dernières années: elles ont fait avancer la cause du découpage équitable des circonscriptions électorales. Elles ont fait en sorte que les politiciens doivent écouter tous leurs électeurs et ne puissent pas choisir qui peut voter pour eux.
Lors de la primaire de la dernière élection présidentielle, vous avez soutenu Pete Buttigieg, qui est actuellement ministre des Transports. Est-ce que vous allez à nouveau le soutenir en 2024?
Oh… j'adore cette question cachée, qui est: Biden va-t-il se présenter? Le président Biden a laissé entendre qu'il allait se présenter à nouveau mais il a également dit - soyons clairs, je ne parle pas en son nom - que c'était l'état actuel de son projet. Dans ce cas, je le soutiendrai de tout mon cœur et de toute mon énergie pour m'assurer que nous conservions la Maison Blanche.
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Et s'il choisit de ne pas se présenter, je ferai tout ce que je peux pour m'assurer qu'un démocrate devienne président, parce que je crois que les politiques et la plate-forme démocrates sont celles qui soutiennent une classe moyenne plus forte et qui sont meilleures pour notre société et notre monde.
Nous devons continuer à appuyer sur l'accélérateur pour 2024
Je ne sais donc pas qui je soutiendrai, si ce n'est pas Biden, mais ce n'est pas le problème maintenant. Je me concentre plutôt sur la façon dont nous allons gagner en Géorgie et sur la façon dont nous allons faire fructifier le travail fantastique que nous avons accompli sur l'écosystème et l'infrastructure démocratiques pour faire en sorte que les démocrates gagnent à tous les niveaux: les conseils municipaux, les secrétaires d'État, les sénateurs ou le président. C'est à ça que je me consacre vraiment.
Nous avons obtenu de bons résultats en 2022 et nous devons continuer à appuyer sur l'accélérateur pour 2024. Je suis convaincue qu'avec le soutien des électeurs à l'étranger et, bien sûr, des électeurs à travers les États-Unis, nous réussirons.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: ami