Poussée vers la sortie par les colonels au pouvoir depuis août 2020, la France a achevé le 15 août 2022 son retrait du Mali, plus de neuf ans après le lancement de son intervention contre les groupes djihadistes au Sahel. En parallèle, les autorités maliennes se sont tournées vers la Russie et, plus particulièrement, selon les pays occidentaux, vers le groupe paramilitaire russe Wagner. Bamako dément, reconnaissant uniquement le soutien d'"instructeurs" militaires russes.
Dans "Un an de Wagner au Mali", un rapport de 58 pages publié dimanche, un groupe de recherche international a documenté la présence et l'activité des mercenaires de la milice russe dans le pays, à partir notamment de données en libre accès.
Si la majorité des 860 civils tués au Mali au premier semestre 2022 ont été victimes des groupes djihadistes, 344, soit 40%, ont péri lors d'opérations de l'armée, selon l'ONU. Un nombre qui est en augmentation.
Une présence accrue
Arrivés au Mali de façon visible en novembre 2021, les mercenaires du groupe Wagner se sont comme en Centrafrique appuyés sur un fort sentiment antifrançais et une situation sécuritaire difficile pour préparer leur arrivée.
Quelque 500 mercenaires russes -selon les estimations du collectif "All eyes on Wagner"- auraient été impliqués au Mali, en particulier dans des opérations antiterroristes aux côtés des Forces armées maliennes (Fama) pour combattre l'insurrection djihadiste menée par le groupe Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM), que Bamako peine à contenir depuis 2017.
Après s'être d'abord installé près de l'aéroport de Bamako, le groupe Wagner s'est visiblement déployé à travers le pays, avec une concentration dans le centre du pays. Il se serait aussi structuré avec la désignation d'un responsable pour la section malienne, selon le rapport. Il s'agirait d'un quadragénaire russe appelé Ivan Maslov, qui aurait aussi été actif en Irak et en Ukraine.
Contrairement à la Centrafrique où il patrouillait dans les rues, le groupe Wagner s'est fait plutôt discret au Mali. Les premières photos -identifiées par le collectif comme montrant des miliciens russes au Mali- datent de janvier 2022, à Ségou, à 240 km de Bamako.
>> Lire : Quand les mercenaires russes de Wagner déboisent la forêt centrafricaine
D'autres preuves existent de la présence de Wagner du côté de Menaka et de Gao, où les hommes se sont installés dans des camps militaires laissés vacants par les forces françaises. Le groupe s'est aussi installé à l'aéroport de Gao après le départ des troupes de l'opération Barkhane, ce qui serait lié à la livraison de nouveaux avions et hélicoptères par la Russie, explique le rapport.
Cela n'est pas sans poser problème à l'Allemagne, qui a repris après le départ de la France la gestion de la base de Gao dont la piste est partagée entre l'ancien camp français, désormais occupé par Wagner, et la Mission de l'ONU au Mali (Minusma), dont le contingent allemand doit assurer la sécurité. Comme Londres, Berlin envisage d'ailleurs de se retirer du pays (lire encadré).
Des civils massacrés
Depuis l'arrivée du groupe Wagner au Mali, de nombreux faits de violations des droits humains ont été relayés. Le groupe Wagner a, selon le collectif d'enquêteurs, été mêlé à la mort de plus de 370 civils, à des violences sexuelles, des déplacements de population et des pillages.
Des éléments de preuves collectées en ligne par le groupe "All eyes on Wagner" ont permis de confirmer les plus importants. Deux massacres commis au début 2022, avec plus de 330 civils tués, ont notamment pu être vérifiés.
Le premier a eu lieu à Dogofry, dans la région de Ségou, le 20 février, faisant au moins 35 morts. D'après plusieurs témoignages, les Forces armées maliennes se déplaçaient de village en village arrêtant des gens et commettant des pillages. Une fosse commune a été découverte le 2 mars par des habitants de la région. Une vidéo tournée au smartphone montre des piles de corps calcinés, dont plusieurs ont les mains liées derrière le dos et les yeux bandés, note le rapport. D'autres sources, notamment sur Whatsapp, ont permis de constater que la plupart des victimes appartenaient à l'ethnie peule.
Le second événement, par ailleurs largement documenté par l'organisation Human Rights Watch (HRW), a eu lieu à Moura, non loin de Mopti, entre le 27 et le 31 mars 2022. Quelque 300 civils ont été massacrés en mars dans cette localité du centre par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, peut-être russes, selon HRW. L'armée malienne dément, affirmant avoir "neutralisé" plus de 200 djihadistes.
D'après des témoignages cités dans le rapport du groupe "All eyes on Wagner", des militaires maliens et des soldats blancs "parlant une langue qui n'était pas le français" ont bloqué les sorties de la ville, arrêté et interrogé toutes les personnes qui tentaient de s'échapper, confisquant leurs biens personnels et leurs téléphones.
Informations brouillées
Dans une vidéo publiée le 24 juin, l'émir du JNIM dans la région de Macina, Hamadoun Kouffa, accuse les mercenaires du groupe Wagner et les Forces armées maliennes d'être responsables du massacre de Moura. Il précise que pas plus de 30 djihadistes étaient présents lors des événements et accuse explicitement les Fama et Wagner d'avoir tué des centaines de personnes.
Une demande d'enquête indépendante sur le massacre présumé de Moura a reçu un veto russe à l'ONU.
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Dans de nombreux cas, la responsabilité pour les morts de civils a été camouflée - ou tenté d'être camouflée- en recourant à des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, relève le rapport du collectif "All eyes on Wagner". Les accusations proférées contre l'armée française qui aurait laissé un charnier sur la base de Gossi, après son départ, en sont un exemple emblématique.
S'appuyant sur l'arrestation de six individus par les forces de Barkhane à Adiora, dans le nord de Gossi, dans le cadre d'une opération antiterroriste, des messages laissaient entendre sur les réseaux sociaux que c'étaient leurs corps qui avaient été retrouvés. Or, après ces accusations, l'armée française a fourni des images qui montrent selon elle des mercenaires russes enterrant des corps après le départ de ses troupes.
Alors que le contexte sécuritaire se dégrade au Mali, l'arrivée de Wagner a pour effet paradoxal de renforcer les groupes djihadistes qu'elle doit combattre, conclut le rapport. Depuis le départ de l'armée française, les mercenaires russes sont même devenus la cible étrangère privilégiée des islamistes, qui exploitent à fond les exactions envers des civils imputés au groupe paramilitaire russe pour recruter de nouveaux membres.
jgal
Désengagement en cascade au Mali
Six pays ont décidé en l'espace de quelques mois d'arrêter ou suspendre la participation de leurs soldats à la mission de l'ONU au Mali, dont l'avenir est plus que jamais en question.
Après la Suède, le Salvador, le Bénin et l'Egypte, le Royaume-Uni et la Côte d'Ivoire cette semaine ont annoncé leur départ, avec des raisons différentes.
Le Bénin a invoqué la menace djihadiste sur ses propres frontières. L'Egypte a mis en avant le nombre de soldats qu'elle avait perdus au Mali. Le Royaume-Uni a allégué, malgré les dénégations de la junte malienne, le recours de la part de celle-ci au groupe paramilitaire russe Wagner.
L'engagement d'un septième contributeur important à la Minusma, l'Allemagne, est en suspens. En l'incluant, ce sont quelque 3500 des 12'460 Casques bleus répertoriés au Mali début novembre qui sont concernés. (AFP)