Ayant chacun perdu leur fille, deux pères israélien et palestinien s'unissent pour la paix
Pour les deux hommes, il s'agit de montrer que le deuil et le chagrin peuvent devenir des leviers vers une compréhension de l'autre, plutôt qu'un instrument de vengeance.
Un choix qu'ils ont fait en comprenant que la mort d'un autre ne pourrait quoi qu'il arrive pas ramener leur fille.
A priori pourtant, tout semble les opposer. Rami Elhanan est un ancien soldat israélien, fils d'un rescapé des camps de concentration. Bassam Aramin un militant palestinien qui a passé sept ans en prison.
Une évolution progressive
Ce chemin vers le pacifisme ne s'est pas fait en un jour. L'évolution a été progressive avec toutefois pour l'un comme pour l'autre, un véritable moment de bascule.
"Mon combat, c'est d'avoir hissé le drapeau palestinien. Pour cela, j'ai passé sept ans dans les geôles israéliennes. Vous pouvez imaginer que c'est une très longue expérience (...) Mais cela m'a permis de découvrir l'autre partie: les Israéliens, l'occupation...", explique Bassam Aramin.
"J'avais 47 ans et c'était la première fois de ma vie que je rencontrais des Palestiniens en tant qu'êtres humains"
"En prison, j'ai vu par hasard un film sur l'Holocauste. Plusieurs années plus tard, j'ai fait un travail de maîtrise sur l'Holocauste, afin de connaître l'autre côté mais aussi savoir comment vivre ensemble, comme négocier et libérer les Palestiniens et les Israéliens de cette occupation", ajoute-t-il.
Pour Rami Elhanan, une rencontre après le décès de son enfant a été décisive. "Ma première réunion du Cercle des parents a été un choc profond. J'avais 47 ans et c'était la première fois de ma vie que je rencontrais des Palestiniens en tant qu'êtres humains", se remémore-t-il.
"J'ai honte qu'il m'ait fallu 47 ans pour sortir du système éducatif israélien de lavage de cerveau pour commencer le voyage vers Bassam, son peuple et son récit".
Une organisation pour rassembler les deux camps
"Le Cercle des parents" est une ONG qui regroupe 600 familles endeuillées, israéliennes et palestiniennes, qui travaillent ensemble pour la réconciliation et le dialogue.
Toutes ont la conviction profonde que c'est l'occupation qui a emporté ces enfants et qu'il faut donc, afin de sauver des vies, changer la situation d'un peuple qui en domine un autre.
Et pour changer cette perception de l'autre, l'organisation estime qu'il est nécessaire de connaître son histoire. Elle a donc développé un programme appelé "l'expérience des récits parallèles".
Le plus important est d'écouter et d'apprendre à connaître l'autre partie. Cela permet de développer davantage d'empathie pour l’autre"
"Nous nous retrouvons, Palestiniens et Israéliens, pour neuf ou dix réunions, dont deux week-ends ensemble, pour écouter le récit, à la fois personnel et national, de l'autre partie. Bien sûr, dès le début, nous leur disons qu’il n’est pas nécessaire de l’accepter. Mais le plus important est d'écouter et d'apprendre à connaître l'autre partie. Cela permet de développer davantage d'empathie pour l’autre", détaille Bassam.
Un drame en partage
Les deux hommes qui militent pour la paix ont connu l'insondable douleur de la perte de leur fille. Smadar, 13 ans, a été tuée dans un attentat à Jérusalem alors qu'Abir, 10 ans, a été la victime d'une balle israélienne dans les territoires occupés.
Une peine à jamais présente pour Bassam et Rami, mais ils ont surmonté le désir de vengeance.
"C’est une décision à prendre chaque matin, après une longue nuit sans sommeil (...) vous sortez de votre trou noir et vous faites un choix: cette voie-là plutôt que l’autre. Parce que votre colère peut créer un cycle de violence qui ne se termine jamais.
"Le choc est toujours là… c'est une blessure qui ne guérit jamais. Mais vous devez continuer à vivre. Vous devez surmonter cette douleur insupportable et tenter de trouver une raison aux meurtres insensés de petits enfants. C’est une décision à prendre chaque matin, après une longue nuit sans sommeil (...) vous sortez de votre trou noir et vous faites un choix: cette voie-là plutôt que l’autre. Parce que votre colère peut créer un cycle de violence qui ne se termine jamais", explique Rami.
L'occupation, cause de tous les maux
Si le chemin de la vengeance est donc écarté, le coupable apparaît aux yeux des deux hommes, bien visible.
"Nous considérons que l'occupation a créé cette haine, cette mentalité de victime et cette noirceur entre les Israéliens et les Palestiniens. Et au lieu de se venger, ce qui est très facile mais qui ne résout jamais le problème, on doit utiliser cette douleur d'une manière différente, peut-être pour construire plus de ponts. Et c'est ce que nous faisons, en mémoire de nos filles, et pour apprendre à nos enfants qu'il y a une autre voie", détaille Bassam.
Une situation bloquée
Mais ces voix qui prêchent pour la paix, l'écoute et le respect sont-elles entendues dans les territoires palestiniens et en Israël? Rien n'est moins sûr, car la situation semble plus bloquée que jamais.
En Israël, le retour de Benjamin Netanyahu à la tête d'un gouvernement très à droite et qui poursuit l'implantation de colonies ne pousse pas à l'optimisme.
Entre le fleuve Jourdain et la mer, il y a 12 millions de personnes, dont la moitié n'a aucun droit démocratique. Ils sont sous un régime militaire et le monde doit le savoir"
"Pour nous, il n’y a rien de nouveau: un gouvernement de droite dirige Israël. La seule différence entre l'ancienne et la nouvelle situation, c'est que maintenant les masques sont tombés. Et Israël est ce qu'il est réellement. Entre le fleuve Jourdain et la mer, il y a 12 millions de personnes, dont la moitié n'a aucun droit démocratique. Ils sont sous un régime militaire et le monde doit le savoir", s'indigne Rami.
>> Lire à ce sujet : En Israël, Benjamin Netanyahu est chargé de former le prochain gouvernement
Pour Bassam, cette impasse n'est pas une fatalité immuable. Une solution peut et doit être trouvée.
"Cela doit arriver. Nous n'allons pas nous entretuer pour toujours. Nous ne sommes pas le premier ou le dernier conflit sur Terre. C'est ce que l’histoire nous enseigne. J'ai toujours dit que les Palestiniens n'ont pas tué 6 millions d'Israéliens. Les Israéliens n'ont pas tué 6 millions de Palestiniens. Et il y a un ambassadeur allemand à Tel Aviv et un ambassadeur israélien à Berlin. Il faut qu'un jour nous ayons un leader courageux qui nous emmène vers l'avenir et nous libère de ce passé très douloureux."
Bassam Aramin et Rami Elhanan étaient en conférence vendredi à Fribourg. Il seront présents samedi à Lausanne, à 18h30, à l'Espace Dickens ,et le dimanche 20 novembre à Genève, à 18h30, au Centre de l'espérance.
Patrick Chaboudez/ther