Gabriel Scheinmann: "S'il y a quelqu'un qui va pouvoir battre Trump, ce sera le gouverneur DeSantis"
Le rapport de force au Congrès américain a changé après les élections de mi-mandat. Les républicains contrôlent désormais la Chambre des représentants (la chambre du peuple), alors que les démocrates gardent la majorité au Sénat (la chambre des Etats). Le parti de l'ancien président Donald Trump récupère le pouvoir de lancer des enquêtes sur le gouvernement de Joe Biden et de diriger les différentes commissions, entre autres.
Kevin McCarthy, le probable futur président de la Chambre (le troisième personnage le plus important de l'Etat fédéral), compte bien faire usage de ces prérogatives. Le nouveau Congrès entrera en fonction en janvier.
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Toutefois, pour les conservateurs américains, la pilule des "midterms" est difficile à avaler, puisqu'ils n'ont pas connu la large victoire qu'ils espéraient. Nombre d'entre eux accusent Donald Trump, qui brigue à nouveau la Maison Blanche en 2024, d'avoir affaibli le parti.
Pour faire le point sur le futur du "Grand old party", l'émission Tout Un Monde a interrogé vendredi Gabriel Scheinmann, directeur exécutif de l'organisation conservatrice Alexander Hamilton Society, à Washington.
Tout Un Monde: Quelle est l'humeur chez les républicains?
Gabriel Scheinmann: Un peu morose. Cela dépend à qui vous parlez (rire). Il y en a qui sont très optimistes. Voyez par exemple le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui a gagné de 20 points (sur son adversaire Charlie Christ, ndlr) dans un Etat qui est moitié républicain, moitié démocrate. Il avait gagné son élection il y a quatre ans avec moins de 1%. Et là, il l'a gagnée avec un écart de 20 points. Certains voient l'avenir de ce côté-là.
D'autres voient que le parti aurait dû faire beaucoup mieux avec ce qu'il se passe avec l'économie, les prix, l'inflation, l'immigration, tous ces problèmes qu'on a dans ce pays. Ils en attendaient beaucoup plus. Donc, cela dépend avec qui vous parlez.
Qui est aujourd'hui le leader du Parti républicain?
Le leader pour le moment est encore le président Trump, mais il est beaucoup plus faible qu'il y a deux ans et demi. Maintenant qu'il a déclaré sa candidature, la course pour la présidence commence. On va voir qui d'autre se présente. Jusqu'à ce que quelqu'un arrive à battre le président dans les primaires, c'est quand même le président Trump (qui mène le parti, ndlr).
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Est-il capable de rassembler les différents courants du parti, comme il l'a fait par le passé?
Je pense que cela va être plus difficile qu'il y a quatre ans. Mais c'est quand même possible. Si vous vous souvenez, lors des primaires républicaines il y a six ans, il a seulement obtenu 20 à 25% du vote dans chaque primaire. Ce n'était pas comme en fin avril, après qu'il a plus ou moins gagné la nomination et qu'il a même remporté 50% dans une primaire.
C'est donc possible que la même chose se passe ici: qu'il y ait six, huit ou dix candidats, qui divisent le vote et que le président Trump gagne 15, 20 ou 25% du vote des primaires. Notre système fait en sorte qu'il ne faut pas rassembler tout le parti, mais juste une certaine grande minorité.
Ron DeSantis règne en maître sur l'Etat de Floride. Peut-il étendre son influence au niveau national et inquiéter Donald Trump?
Oui. Je dirais que c'est le candidat le plus sérieux qui peut inquiéter le président Trump. Déjà, c'est un gouverneur, donc il a des résultats. En Amérique, on aime beaucoup les gouverneurs. C'est un gouverneur qui a été réélu. Avant ça, il était dans la chambre des députés (des représentants, ndlr) à Washington, donc il n'a pas perdu d'élection jusqu'à présent.
Trump a non seulement perdu l'élection en 2020, mais il est aussi responsable de la perte du Sénat en 2020 et du fait que les républicains n'aient pas fait aussi bien que prévu la semaine dernière. Vous avez déjà un contraste entre un candidat qui gagne et un candidat qui perd. C'est un candidat qui arrive beaucoup plus à rassembler, disons, les modérés du parti, pas seulement les extrêmes. Je pense donc que s'il y a quelqu'un qui va pouvoir battre le président Trump, ce sera le gouverneur DeSantis.
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Lui-même n'est pas vraiment un modéré…
Cela dépend de ce que vous voulez dire. D'un côté, il l'est… Disons plutôt qu'il est traditionnel. C'est un républicain qui coupe les impôts, qui enlève les régulations dans le gouvernement. C'est un gouverneur qui a des vues traditionnelles de la politique étrangère.
Quand même, c'est la Floride! Il a gagné à Miami, qui est une ville démocrate depuis très longtemps, donc il arrive à obtenir du soutien de gens plutôt traditionnels ou modérés. Il n'a pas, comme le président Trump et beaucoup d'autres républicains, nié des résultats de l'élection de 2020. Ça, c'est un gros problème dans le parti. Il s'est mis du bon côté.
Quels sont les points forts du Parti républicain? Sur quoi doit-il miser dans les deux années à venir avant la prochaine élection présidentielle?
Le premier point fort, c'est l'économie. Vous l'avez vu dans le discours du président Trump. Quand les républicains étaient au pouvoir, l'économie américaine était la meilleure depuis un demi-siècle. Alors que ces deux dernières années, on a la pire économie depuis 15 ou 20 ans. Les prix sont très élevés, ainsi que le coût de la vie, des achats, le pétrole, tout! Il faut donc qu'ils misent sur l'économie. Deuxièmement, je crois qu'il faut qu'ils misent aussi sur des questions d'ordre aux États-Unis. Dans toutes les villes, la criminalité commence à monter. On n'arrive pas à contrôler notre frontière avec le Mexique. Plusieurs centaines de milliers (de personnes, ndlr) passent illégalement à travers la frontière. On n'arrive pas à les contrôler. Ce sont des questions qui inquiètent beaucoup les Américains.
Il faut donc vraiment qu'ils se concentrent sur les choses qui concernent les Américains, qui sont importantes pour eux, et pas sur les distractions qu'on trouve souvent dans la discussion politique.
Mais l'économie est aussi conjoncturelle. Joe Biden n'est pas responsable du prix de l'essence, par exemple.
Regardez le prix d'essence d'il y a deux ans comparé à maintenant. Regardez le prix de l'essence, même en 2020, après que le Covid est arrivé, comparé à maintenant. On est pratiquement au double. Le président Biden a mis en place la politique qui y contribue. Par exemple, le président a annoncé, non seulement dans sa campagne il y a deux ans, mais encore maintenant, qu'il veut éliminer le pétrole. Naturellement, on arrête d'investir dans le pétrole et dans le gaz, et les prix commencent à augmenter. Il a donc énormément contribué aux prix du pétrole.
Est-ce que le climat préoccupe le Parti républicain?
Cela préoccupe surtout le Parti démocrate, beaucoup moins le Parti républicain. Même malgré ça, nous sommes avec un taux de contribution aux émissions de carbone le plus bas depuis les années 1970. Le problème du climat, c'est surtout avec la Chine. La Chine contribue plus aux émissions de carbone cette année que l'Amérique, l'Union européenne, le Japon et l'Inde réunis. C'est sûr que le climat est une priorité pour le Parti démocrate, mais je ne pense pas que ça l'est pour les votants américains.
On voit dans les sondages post-électoraux que la question de l'avortement a fortement mobilisé les électeurs en faveur des démocrates. Une majorité des Américains et des Américaines soutiennent le droit à l'avortement. L'élite républicaine n'est pas en phase avec la population. Est-ce inquiétant?
Dans certains Etats, c'est vrai que l'avortement a motivé beaucoup de démocrates à venir voter. Mais il y a d'autres Etats où des gouverneurs républicains ont créé beaucoup plus de restrictions sur l'avortement et ont été réélus facilement. On a parlé du gouverneur DeSantis en Floride. Il a institué l'élimination de l'avortement après la 15e semaine. Il a été réélu avec 20 points d'écart. En Géorgie, le gouverneur républicain a créé une loi rendant illégal l'avortement après 6 semaines et il a été réélu facilement. Même chose aussi au Texas et dans d'autres États.
Dans les Etats qui sont plutôt démocrates, oui, c'est un problème. Lors de l'élection présidentielle en 2024, où les républicains vont devoir reprendre des Etats qui ont voté pour Biden comme la Pennsylvanie ou le Michigan, ça sera un problème. Mais ce n'est pas sûr que le peuple américain soit complètement contre la position des républicains sur cette question-là.
Les élections de mi-mandat ont favorisé des candidats modérés dans les deux partis. Cela augure-t-il une nouvelle ère de coopération bipartite, après des années de polarisation extrême et de diabolisation de l'adversaire?
J'aimerais bien répondre par l'affirmative à votre question. Mais, malheureusement, je ne pense pas. Il y aura quand même un gouvernement divisé. Les républicains vont contrôler la Chambre des représentants et les démocrates le Sénat, plus le président. Le président Trump, qui était quand même le leader du Parti républicain (peut-être que cela va changer d'ici un an), est un personnage assez "vitriolique". Il ne veut pas vraiment faire des compromis.
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Malgré le fait qu'il a été élu avec l'idée qu'il allait pouvoir être un modéré et trouver des compromis avec les républicains, le président Biden se retrouve du même côté. Il qualifie les républicains de "fascistes". Je ne pense donc pas qu'on va voir un grand changement d'ère et des compromis ici à Washington.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Antoine Michel