Lancée le 29 août, la contre-offensive ukrainienne dans le sud du pays a abouti, moins de deux mois plus tard, à la libération de Kherson, une ville de 380'000 habitants avant la guerre. Mais avant de planter le drapeau jaune et bleu sur les zones occupées par les Russes, les troupes de Kiev ont dû livrer une bataille acharnée.
Les positions russes étaient solides et la progression ukrainienne difficile dans cette région faite de vastes plaines où chaque bosquet, chaque maison, pouvait servir de camp retranché.
Huit mois dans un abri
"Les Russes étaient ici, les Ukrainiens à quelques kilomètres. [Ils] avaient des drones, les repéraient et les bombardaient", explique dans le 19h30 de la RTS Nadezhda, une habitante d'Oleksandrivka, un village de 2500 âmes à une quarantaine de kilomètres de Kherson, où les Russes avaient pris position.
Face à l'envahisseur, la majorité de la population s'est enfuie, mais une quinzaine de personnes – âgées pour la plupart – sont restées, dont Nadezhda, 69 ans, et son mari, Pavlo.
Le couple, qui fêtera 50 ans de mariage en 2024, a passé les huit derniers mois dans un abri souterrain, alors que l'armée ukrainienne pilonnait la zone jour et nuit pour déloger l'ennemi.
Les Ukrainiens ne nous ont pas tués, ils tuaient les Russes qui étaient cachés dans les maisons
Quant aux Russes, les époux disent ne pas avoir été maltraités par eux, à l'exception d'une fois, lorsqu'un soldat séparatiste de Donetsk s'en est pris à Pavlo, l'a frappé et lui a cassé une dent.
La plupart des combattants étaient de jeunes soldats russes qui ne voulaient pas vraiment être là, témoigne Nadezhda, qui assure que certains se mutilaient eux-mêmes pour être renvoyés vers l'arrière.
Une avancée rapide
"L'armée ukrainienne a détruit leur chaîne logistique. Les ponts ont été détruits. Ils ne pouvaient plus ravitailler leur armée. Plus d'équipements, plus de nourriture. Ils sont partis très, très vite", commente Ruslan, un soldat ukrainien rencontré par le 19h30 de la RTS à l'aéroport de Kherson.
Le site, utilisé comme base par l'armée russe, a lui aussi essuyé des tirs nourris de l'artillerie ukrainienne.
Grâce à cette stratégie, les occupants russes ont fini par quitter Oleksandrivka le 10 novembre. Le lendemain, les troupes ukrainiennes arrivaient dans Kherson, sans même avoir besoin de combattre.
Accueillis en héros
"C'était quelque chose de très étrange parce que nous avions eu des combats très durs dans les villages autour de Kherson. Beaucoup de gens sont morts. Nous avons perdu beaucoup de matériel, beaucoup de tanks. Chaque parcelle de terrain a été prise avec beaucoup d'efforts", relève Roze, des Forces spéciales de la police, l'une des premières unités de police à avoir pénétré dans la ville.
"Cela valait le sacrifice, parce que c'est notre terre et nous sommes prêts à mourir pour la protéger", précise son collègue, qui se fait appeler "Sheva".
En arrivant à Kherson, nous étions prêts à nous battre, mais nous sommes tombés sur des civils ukrainiens qui voulaient nous embrasser
Il n'existe pas de bilan officiel de la contre-offensive sur Kherson, mais certaines estimations évoquent plusieurs milliers de morts et de blessés dans chaque camp.
Sergent des Forces spéciales ukrainiennes, Sergueï comptait lui aussi parmi les premiers à entrer dans Kherson. Il est d'ailleurs entré dans l'histoire des héros ukrainiens puisque c'est lui qui a remis en place le drapeau ukrainien au centre de Kherson, drapeau dont l'image a fait le tour du monde.
"Je n'ai pas les mots. Mon cœur battait très vite, j'avais les larmes aux yeux, mes mains tremblaient, les gens nous acclamaient", se souvient-il, ému, dans le 19h30.
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Des pièges à déjouer
Aujourd'hui, la région libérée doit affronter de nouveaux défis. Au moment de leur retrait, les Russes ont détruit les infrastructures essentielles de Kherson, laissant la ville sans eau ni électricité alors qu'un hiver rude s'installe.
Dans les localités libérées, de nombreux terrains ont été minés et certaines maisons piégées. Parfois, un fil à peine visible est relié à une grenade, comme a pu le constater la RTS à Oleksandrivka (voir photo ci-contre). Selon un démineur ukrainien rencontré sur place, il faudra des mois, voire des années, pour sécuriser l'ensemble de la région.
Quant aux soldats qui ont libéré Kherson et ses alentours, après quelques jours de repos, ils repartiront vers d'autres fronts, d'autres batailles.
Reportage TV: Sharon Aronowicz et Tristan Dessert (à Kherson, Ukraine)
Adaptation web: jgal